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Message : Re: Microtypographie de la phonetique (le point de vue de la linguiste)

(Alain Hurtig) - Lundi 13 Novembre 2000
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Subject:    Re: Microtypographie de la phonetique (le point de vue de la linguiste)
Date:    Mon, 13 Nov 2000 04:46:21 +0100
From:    Alain Hurtig <alain@xxxxxxxxxxxxxxxxxx>

Voici la longue, savante et argumentée réponse de ma linguiste.

Je transmets...

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Date: Sun, 12 Nov 2000 23:14:29 +0100
To: Alain Hurtig <alain@xxxxxxxxxxxxxxxxxx>
From: Martine Toda <martine@xxxxxxxxxxxxxxxxxx>
Subject: alphabet phonetique internationale et ideal

Bonjour à la liste.

Je vais vous donner mon avis personnel sur ce que je pense de comment devrait être un alphabet phonétique du point de vue linguistique.


EN GENERAL

Il y a des lettres qui proviennent de lettres culbutées et d'autres qui proviennent de lettres réfléchies. Pour les lettres qui ne sont pas "symétriques" horizontalement, le dessin qui en résulte est différent selon que ce soit la culbute ou la réflexion. Toutefois, quelques lettres peuvent aussi bien être culbutées que réfléchies du point de vue du squelette de la lettre : par exemple, le _c_ culbuté (o ouvert) ou le _a_ (sans la boucle au-dessus) culbuté (voyelle basse arrière non arrondie) ou encore l'epsilon culbuté. Je trouve que pour ces lettres, ce n'est pas la nature de la transformation qui compte, mais la cohérence qu'on donne au dessin à l'aide de goutte, de graisse et d'empattements qui compte. Ma position est que le dessin doit être cohérent. (Voir plus loin.)

Ainsi, les lettres d'origine culbuté ou réfléchies doivent adopter la graisse avec le bon axe et les empattements et obits du bon côté aussi. Je suis convaincue que tous les linguistes, en voyant des lettres "traditionnelles" (telles quelles après avoir été culbutées, sans retouche) et des lettres corrigées et cohérentes microtypographiquement, trouveront que les lettres dont la graisse etc. est cohérente sont plus lisibles pendant que les autres leur paraîtront choquantes.

Certaines remarques ont été faites, comme quoi la "correction" des obits et empattements pourraient donner lieu à de nouvelles lettres illisibles ou de faire ressembler ces lettres aux autres lettres existantes. Pour ma part, je pense que le dessin de la lettre ne relève pas de l'avis des linguistes, pour qui seul le squelette est pertinent (d'où la possibilité d'avoir plusieurs polices phonétiques, des pseudo-times, des linéales et des sortes de courrier). Ensuite, il ne me semble pas que les lettres issues de culbute ou de réflexion soient si semblables aux autres lettres latines existantes. Je pense au contraire que l'incohérence du dessin nuirait à la lecture (mais rares sont les linguistes qui lisent couramment l'écriture phonétique... !).


CONSONNE OU VOYELLE ?

Les lettres culbutées ou renversées ne représentent pas forcément une consonne si la lettre d'origine est une consonne et une voyelle si la lettre d'origine est une voyelle. Il m'a semblé que cela était une question pertinente, surtout s'il fallait envisager de faire un _m_ culbuté comme une ligature de deux _u_. Les lettres _h_, _m_ culbutées sont des voyelles ou des semi-voyelles (d'où le fait qu'il est d'autant plus pertinent de considérer le _h_ culbuté plutôt comme un _u_ descendant), mais le _a_ culbuté est aussi une voyelle, et _r_ culbuté est une consonne, de même que le _R_ renversé (mirroir sur axe horizontal).

A propos des _m_ hampé culbuté et _h_ culbuté, je pense qu'ils sont de la même famille que le _j_ qui est aussi une approximante (d'avant et non arrondie, alors que les deux précédentes sont des approximantes d'arrière non arrondie et d'avant arrondie, respectivement, si je ne me trompe pas, d'où l'importance de reconnaître un _u_ en leur sein (ces signes ne servent qu'à décrire le son des langues barbares, alors je ne les connais pas bien.)). Si on cherche une cohérence à tout prix entre le dessin de la lettre et le son représenté, la logique serait d'enlever la courbure du _j_ ou d'ajouter une courbure aux (à la descendante des) lettres culbutées et hampé. Or, cela risquerait d'induire une confusion, puisque la courbure est utilisées, dans d'autres lettres, pour marquer la présence d'un _g_, par exemple (pour traduire le trait vélaire, comme pour la consonne nasale vélaire, qui commence comme un _n_ et qui finit comme un _g_). Enfin, le bordel est parfait lorsqu'on se rappelle que la lettre phonétique qui sert à décrire la dernière de la combinaison +/- arrondi et +/- arrière, c'est _w_, qui ne possède pas du tout de descendante. A moins d'inventer un truc qui ne dira plus rien aux linguistes déjà assez perturbés par cet alphabet. Non, il ne faut pas y chercher de cohérence à tout prix ! C'est trop tard, les lettres ont été définies, il faut faire avec du mieux que l'on peut.

Je crois aussi qu'il est indispensable de comprendre le système de la longueur des tiges qui varient en fonction de caractéristiques phonétiques. Si c'est rétroflèxe, on a une boucle ; on a une petite queue ronde en haut en plus si ce sont des consonnes labiovélarisées. Il y a une tendance à avoir une petite queue ronde en bas vers la droite, à la fin d'une descendante, pour les sons palataux (ou _palatals_). Il faut que ces "signes" puissent être reconnus comme de même nature d'une lettre à l'autre.

De même, il existe plusieurs _r_ en fonction du nombre de battement (_r_ roulé une fois ou roulé plusieurs fois). Mais cette caractéristique n'est partagé par aucun autre son.

> J.-P. ne m'a pas convaincu sur ce coup-là. [...] Par > exemple, le "m culbuté" dont il craint la confusion avec une ligature "uu", > je constate que c'est une "voyelle haute postérieure non arrondie", je ne > sais pas ce que c'est, mais ça paraît plus proche d'un double u que d'un m. > Est-il déraisonnable de penser qu'on a, à l'origine, utilisé un m culbuté > pour figurer un double u ? Quant à la terminologie employée, on peut > s'étonner que le "h culbuté" et le "m hampé culbuté" soient tous deux des > "approximantes sonores". Ne peut-on pas en déduire que ce "m hampé culbuté" > est en fait un "h culbuté à double jambage" ?

Comme j'ai fait remarquer précédemment, je pense qu'il faut considérer le "_h_ à double jambage culbuté" plutôt comme un "_u_ descendant à double oeil" (je ne sais pas si ce terme est correct mais vous comprendrez ce que je veux dire), si l'on tient à cet histoire d'approximante et de labialité (arrondissement).


LISIBILITE

? : Si j'étais toi et que je disposais de temps, je le ferais >sur quelques signes et je ferais un test de lisibilité des deux >versions par des gens qui lisent l'ipa couramment...

OR : Ça porte finalement sur assez peu de signes, donc je vais suivre ton conseil, on verra.

Si cela est possible (je ne sais plus qui est cité en premier... Vous m'excuserez), ce serait l'idéal.

A.H. : Il n'y a par ailleurs aucun risque de confusion ou de mélange avec le texte courant, puisque les passages en IPA sont toujours encadrés de crochets ou de barres verticales.

De crochets et de slashs, plutôt. Là encore, je vous entends tous crier en même temps ("comment, un slash utilisé comme des parenthèses ?!") , mais le slash a été adopté pour signaler une transcription phonologique, tandis que les crochets sont réservés à la transcription phonétique. Je ne passerai pas ma soirée à vous expliquer la différence, mais c'est primordial. (on utilise le même alphabet phonétique pour les deux transcriptions, et en général, il y a plus de diacritiques et de petits signes "en exposant" pour la transcription phonétique que pour la transcription phonologique.)

A.H. : Ce qui est étrange, et c'est la réponse à ta remarque, c'est que les hellénistes à qui j'ai montré ce grec ITC tout seul (en corps 15, pour bien voir les lettres) étaient très gênés par son dessin, bien que sans arriver à dire pourquoi. Les mêmes étaient enchantés du résultat final, et en particulier de lire sans rupture aucune, sans discontinuité, le français et le grec. Tout faisait, miraculeusement, sens pour eux, sans avoir besoin de réfléchir : passage d'une langue à l'autre absolument naturelle.

Voilà ce que je m'attends également à trouver avec les polices phonétiques dessinées correctement. Mais le problème n'est pas tout à fait le même, parce que l'usage de l'alphabet phonétique est très limité, même en linguistique. Cela se limite généralement à quelques mots, et ne constitue jamais de texte (pas de lignes entières, encore moins de paragraphes). Les linguistes ne lisent pas en alphabet phonétique comme les héllénistes en grec. Et chacun a tellement sa spécialité : on connait les caractères qu'on utilise pour la langue qu'on étudie et pour les langues qui ont à voir avec ; les autres caractères et diachritiques, c'est du chinois pour eux (sauf pour les sinisants). Je pense qu'il n'existe pas de linguiste qui connaisse la totalité de l'"alphabet" phonétique. Sans parler des romanistes qui ont un autre système, etc. (pour J.T.).


FORMES SPECIFIQUES

O.R. : Eh bien, dans ceux qui sont explicites dans la terminologie, il y a le o ouvert, qui est donné comme typographiquement un c culbuté, alors que pour représenter un o ouvert, on verrait plutôt un signe en forme de demi-lune (ou de trois-quart de lune, plutôt)

Ah bon ? Si c'est mieux, je veux bien. L'essentiel, c'est qu'il y ait un arc dans le sens inverse de _c_.

le j sans point barré, qui est donné comme typographiquement un f culbuté (et qui pose également le problème des formes respectives des hampes du j et du f, censément identiques selon ce système, voir ma deuxième question)

Voir mes remarques générales (si les hampes du _j_ et du _f_ ne sont pas les mêmes dans ta police, je suis évidemment d'avis que le _j_ sans point barré doit être dessiné à partir du _j_).

dans les moins explicites, le h culbuté (u hampé ?)

_u_ hampé, si on considérait que tout ça pouvait être un peu logique au moins.

le m hampé culbuté, qui semble être plutôt un h culbuté à double jambage

qui semble être plutôt un u à double oeil avec descente... (v. remarque "voyelle ou consonne".)

le r sans hampe réfléchi qui me paraît plutôt être un iota culbuté (c'est une voyelle)

?

le j sans point barré crosse, qui pourrait aussi être un f barré hameçon

(je ne peux pas t'aider, là...)

le y culbuté qui semble être plutôt un lambda réfléchi (tiens, notre signe de correction !).

En japonais, je peux te dire que ce signe veut dire "(une) personne", alors que le lambda veut dire "entrer". Ca a toute son importance, je te le jure !

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Sur ces considérations savantes, je passe le relai à mon porte-parole de service bien dévoué.
Je vous salue tous.

martine toda
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Alain Hurtig mailto:alain@xxxxxxxxxxxxxxxxxx
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Or ça, salopins, serre-argent, palotins, hommes de finances, larbins
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   Alfred Jarry, _Ubu cocu_