Archive Liste Typographie
Message : Re: plates-formes (Jacques Melot) - Vendredi 09 Novembre 2001 |
Navigation par date [ Précédent Index Suivant ] Navigation par sujet [ Précédent Index Suivant ] |
Subject: | Re: plates-formes |
Date: | Fri, 9 Nov 2001 00:51:01 +0000 |
From: | Jacques Melot <jacques.melot@xxxxxxxxx> |
Le 8/11/01, à 21:34 +0100, nous recevions de Luc Bentz :
----- Message d'origine ----- De : "Jacques Melot" <jacques.melot@xxxxxxxxx> À : <typographie@xxxxxxxx> Cc : "Jacques Andre" <Jacques.Andre@xxxxxxxx> Envoyé : jeudi 8 novembre 2001 17:43 Objet : Re: plates-formesMais encore une fois, il n'existe aucun exemple d'emploi du préfixe « multi » suivi immédiatement d'un trait d'union en français (dans le Petit Robert, du moins).Mais on doit pouvoir trouver dans la documentation technique (voire spécifiquement informatique) des exemples de « multi-utilisateurs ».
C'est pour cela que je ne me montre pas trop catégorique. Je connais « bien » les difficultés de tous ordres en rapport avec le vocabulaire technique.
On trouve ce type de construction, comme l'indiquait Jean-Pierre Lacroux, avec une utilisation « adjectivale ». J'espère que les considérations qui suivent ne vous ennuieront pas : il y a fort à parier que la question du « multi(-)plate(s)(-)-forme(s) se pose et se posera pour d'autres termes. Ce phénomère est sans doute (restons prudent) relativement récent. L'influence anglo-saxonne n'est pas seule en cause : l'éditeur de logiciels est heureux qui peut proposer le même produit pour macistes, fenestriens ou linuxeurs. Ajoutons qu'iI y a une certaine porosité entre la classe des noms et celle des subjonctifs (pensez aux usages de bleu(s), rouge(s), grand, petit ». J'ai récemment lu que l'abbé Lhomond (qui nous fit souffrir avec le « De viris ») fut également l'auteur d'une grammaire qui, comme d'autres à l'époque, utilisait les appellations de noms substantifs (nos noms) et les noms adjectifs (rebaptisés ultérieurement « adjectifs qualificatifs » par opposition aux adjectifs « déterminatifs »). Mais les divers quantifiants (articles, adjectifs numéraux, possessifs, démonstratifs, etc.) ont peu à voir avec les qualifiants... et l'on observera que l'on peut substituer aux adjectifs des propositions relatives, des compléments du nom ou... des appositions. La difficulté dans laquelle se trouve le scripteur avec multiplateforme résulte sans doute de la fusion d'éléments dont un était lui-même composé (au moins à l'origine). Sans doute y a-t-il soudure dans plateforme » (le P.R. donne les deux graphies, avec ou sans trait d'union comme possibles), puisqu'il y a belle lurette que la plate(-)forme n'a plus pour caractéristique essentielle d'être une forme plate (à lire certaines plates-formes, elles seraient dans certains cas assez creuses).
C'est le destin normal d'une (bonne) partie des mots composés en français : nombreux sont ceux qui ne sont plus analysés consciemment en leur éléments composants et même en principe tous, par définition même : lorsqu'on emploie « lorsque », on ne décompose pas en « lors » et « que » (alors même qu'on le fit pendant une longue période, avant la formation du composé !). Je n'ai pas plus tôt écrit cela que j'en trouve un autre : « plutôt », « plus », « tôt », etc. Peut-être aussi « peut-être ».
Cela entre d'ailleurs dans la définition même du mot composé, lequel en français englobe trois types :
plateforme (contigu) chou-fleur (avec trait d'union) pomme de terre (avec des espaces).Un mot formé de plusieurs autres ayant une existence indépendante est dit composé lorsque, dans un usage normal, il fait venir à l'esprit une image unique et non pas les différentes images correspondant à ses constituants. Cette image unique peut, du fait de l'évolution du mot (à cause d'emplois métaphoriques ou métonymiques qu'il peut avoir subi) évoquer quelque chose qui n'a rien à voir avec ce qu'évoque chacun des mots dont il est composé. Il est toutefois des cas peu tranchés. La situation est très différente, pour ainsi dire dire inversée, dans d'autres langues, notamment dans les langues germaniques, en grec, etc. Dans le cas d'une langue comme l'islandais, le mécano ou lego linguistique par excellence, une personne qui parlerait cette langue très bien, mais ne saurait pas l'écrire, serait incapable de décider de la séparation entre les mots. En sanscrit, la séparation par écrit des mots dans la devanagari est d'une introduction récente (avant tout le texte ne faisait qu'un seul mot, entre deux séparations fortes, équivalentes d'un point, lequel mot pouvait donc avoir les dimensions d'un paragraphe), laquelle fut, s.m.s.s.e., motivée par le souci de simplifier les choses pour les étrangers étudiant cette langue. Le début et la fin des mots, même après cette modification, y subissent des variations notables en fonction du mot adjacent (règles d'euphonie vocalique et consonantique, qui, par comble, se prolonge même à l'intérieur des mots dans certains cas, comme justement dans celui des composés). Comme le grec ancien, l'islandais fait un usage constant et massif de la composition dynamique et la compréhension de la phrase passe nécessairement pas une analyse interne de chaque mot, ce qui est, de ce point de vue, quasi aux antipodes de ce qui se passe en français, où, dans l'ensemble, très vite et très aisément, la structure interne des mots sort du champ de la conscience dans l'exercice ordinaire de langue. Si l'on peut soutenir qu'un composé comme « tire-bouchon » est très aisément analysé au point de presque infirmer, dans ce cas précis, ce que je viens de dire de la composition en français, on s'aperçoit qu'il ne faut pas chercher loin pour trouver des composés pourtant simples et transparents (comme ils le sont toujours en islandais), mais qui nécessitent indéniablement une démarche consciente pour être analysés en leurs éléments composants : chou-fleur, gendarme, etc. Pour les mêmes raisons, on utilise fréquemment et sans sourciller des impropriétés : une dinde (poule d'Inde... originaire d'Amérique), passer dans les clous (lorsqu'on se trouve sur des bandes), atome (alors que l'on sait depuis belle lurette que cette division de la matière n'est pas ultime), hystérie (alors que ce syndrome n'a nullement son origine dans l'utérus).
Mais le français a plutôt horreur des mots rallongés, contrairement à l'allemand... et si vous me répondez par inconstitutionnellement », c'est justement qu'il s'agit là d'une exception notable... et explicable (nous sommes là dans le domaine de l'adverbe et non celui du nom ou de l'adjectif). Une recherche rapide (que je viens de lancer) avec Google sur l'usage (qui peut être fautif !) donne : * 1 540 occurrences pour « multiplateforme » au singulier (y compris avec « Outils multiplateforme pour le travail collaboratif »... emploi appositif invariable » qui m'étonne et qu'on doit peut-être à un effet du « multi », mais aussi « Langage multiplateforme vs. langage spécifique ») ; * 791 (environ, disent-ils) « multiplateformes » ; * 2060 « multi-plateforme » (dont « Histoire des logiciels multi-plateforme ») ; * 2300 « multi-plateformes » ; * 1160 « multi-plate-forme » (dont des « multi plate-forme » avec un blanc) ; * 483 « multi-plate-formes » (assurément fautifs !) ; * 2030 « multi-plates-formes ». La composition « multi-plateforme » témoigne du rôle spécifique du trait d'union (même si l'on peut y voir, ici, une anomalie, etc.). Multiplateforme » me semble pourtant plus logique (il n'y a pas de choc de voyelles »). Le double trait d'union me paraît plutôt rare...
et peu heureux, bien que nécessaire dans certains cas (cf. ce qu'écrit à ce propos Jean-Pierre Lacroux, dit l'Implacable).
Sur cet usage fluctuant, Littré estimait « à propos que la critique essaye un triage, distinguant ce qui est bon, et prévoyant ce qui doit surnager et durer. »
C'est du Lacroux, mais en plus diplomatique.
Il me semble, quant à moi, que « multiplateforme » (accordé si nécessaire) est la solution... la plus ergonomique... comme, dans un autre domaine, « polypensionné ».
Dès le début, je n'ai pas voulu me mêler de la traduction éventuelle du terme en question, et j'ai bien fait car après Jean-Pierre Lacroux nous faisant le coup du « mais le roi est nu », s'est aperçu qu'il s'agit d'un emploi adjectif, en anglais comme en français.
Mais enfin, et ce que vous avez écrit plus haut montre que vous me rejoignez, tous ces teutonneries en polytétrastchroumf, ne m'inspirent guère (encore que de notorié publique je sois quelque peut teutocline, voire même teutolagne).
Jacques
-- Luc Bentz http://www.chez.com/languefrancaise/ http://www.langue.fr.st/ « Le blanc qui sépare les mots aide à la compréhension du texte écrit ; et toute la ponctuation est à son image. » (Jacques Drillon)
- Re[2]: plates-formes, (continued)
- Re[2]: plates-formes, Jacques Melot (08/11/2001)
- Re: plates-formes, Jacques Melot (08/11/2001)
- Re: plates-formes, Luc Bentz (08/11/2001)
- Re: plates-formes, Jacques Melot <=
- Re: plates-formes, Luc Bentz (09/11/2001)
- Re: plate' forme, Eric Angelini (10/11/2001)
- Re: plate' forme, Jacques Melot (10/11/2001)
- Re: plate' forme, Jacques Melot (12/11/2001)
- Re: plates-formes, Lacroux (09/11/2001)
- Re: plates-formes, Luc Bentz (09/11/2001)
- Re: plates-formes, Jean-Philippe Moreux- Vuibert Informatique (09/11/2001)