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Message : Re: [typo] contribution et codage

(Pierre Schweitzer) - Jeudi 13 Mai 2004
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Subject:    Re: [typo] contribution et codage
Date:    Thu, 13 May 2004 01:12:38 +0200
From:    "Pierre Schweitzer" <pierre.schweitzer@xxxxxxxxxxx>

Merci pour vos constructions, admirables, et pour l'escalier. Elles nous donnent une idée concrète du problème à résoudre.
 
Moi aussi, j'aimais bien vos deux casses-tambours version 2.5.
 
Je m'étais même hasardé à en évaluer le volume et le poids : 5 m3 de volume utile et un peu moins d'une tonne pour chaque tambour (vide), les deux tambours manoeuvrés par un seul homme assis... À défaut de roulement à billes pour mettre en branle le dispositif sans trop d'effort (et en restant assis), on aurait pu imaginer que les fûts soient suspendus à des cordes nouées sur leur axe pour permettre la rotation aisée des tambours et que leur axe inférieur soit simplement maintenu en place sans appui, pour éviter tout frottement. Pas gagné d'avance mais pas infaisable non plus, si le plancher du dessus était capable d'en soutenir la charge... À défaut de suspension pour éviter les frottements, je pense qu'il aurait été impossible à une personne seule de manoeuvrer de tels "tonneaux" toute seule...
 
Curieux aussi qu'aucun témoignage contemporain (récit ou gravure) n'atteste l'existence d'un tel mobilier, qui ne devait pas passer inaperçu, bien plus imposant par exemple que les roues à livres de nos ingénieurs de la Renaissance ici.
 
Wang Zhen décrit-il un dispostif d'imprimerie opérationnel ou un dispositif expérimental de son invention ? C'est toute la question... 
 
Côté manip, pas évident non plus. À supposer qu'ils soient manoeuvrés sans frottement, ces deux tambours (7 mètres de circonférence, environ 1 tonne chacun) devaient bien avoir une certaine inertie. Les mettre en mouvement pour accéder au caractère diamétralement opposé devait soit nécessiter un certain laps de temps à vitesse très réduite, soit nécessiter un astucieux système de freinage en vitesse de croisière ;-) Bref, sur le papier, le dessin du meuble semble encaisser le nombre de casseaux requis mais j'aimerais quand-même bien le voir fonctionner...
 
Le nombre des casseaux semble suffisant. Mais qu'en est-il de leur taille ? Restons-en aux deux tabours version 2.5 cm (coté des casseaux) puisque les casseaux des tables sont très inférieurs encore (2 cm carrés = 1.4 cm de côté)... Il s'agit quand même de plonger deux doigts au moins dans le casseau pour saisir un caractère. Et même pour un Chinois du XIIème siècle, je ne vois pas comment cette opération serait, sinon aisée, au moins possible en dessous d'une côte de... 3 cm de côté, disons. Égale 9 centimètres carrés sans le cloisonnement. Disons même 10 cm² pour un cloisonnement de 3 mm qui est assez improbable pour l'époque. Donc en version plateaux (tables), les casseaux que vous décrivez me semblent au moins 5 fois trop petits. En version tambour avec casseaux verticaux, c'est pire encore : il faut pouvoir y plonger la main. Sauf à empiler les caractères tout au bord du cylindre et à s'en saisir sans rien faire tomber, ils seraient plûtôt emmagasinés au fond des alvéoles et s'agissant de cavités horizontales, un minimum de profondeur s'impose pour éviter leur chute. D'où le passage de la main pour en attrapper un. Votre hypothèse sur la taille des casseaux me semble trois fois trop faible en taille, égale neuf fois trop faible en surface de rangement. Les tambours contiennent neuf fois moins de casseaux que prévu, ou bien ils sont neuf fois trop petits.
 
Encore que... j'ai complétement oublié jusqu'ici la taille des caractères aux-même. Il me semblait assez évident que les livres ou les journaux chinois contemporains utilisent une taille de caractères très inférieure à celle que connaissait Wang Zhen. Et je citais de mémoire une taille de caractère mentionnée dans une des références que vous avez citée d'ailleurs 13 mm sur 22 mm que j'avais arrondis à 3 centimètres carrés pour fixer un ordre de grandeur. Mais combien y avait-il de caractères dans chaque case ? Extrèmement variable, il me semble. C'est un autre aspect du problème. En tout cas, il est clair à mon sens que des casseaux de 2cm² étaient nettement trop petit pour contenir le nombre de caractères nécessaire : ils n'auraient même pas pu en contenir un seul.
 
Pierre Schweitzer
 
 
 
 
----- Message d'origine -----
Envoyé : mercredi 12 mai 2004 19:47
Objet : Re: [typo] contribution et codage

L'esprit de l'escalier... reprenons.

J'étais parti sur mon idée de "tambours" rotatifs, idée qui a l'avantage
d'être jolie, et de me plaire... mais l'immense inconvénient de n'être
soutenue par rien ! Elle ne correspond ni à la description de F. Macouin
("tables tournantes"), qui se réfère directement au texte de Wang Zhen, ni à
l'illustration en ligne, qui, si elle est sans doute infidèle pour ce qui
est des dimensions, doit être également basée sur le texte de Wang Zhen.
Quant à l'estimation de l'ergonomie d'une telle configuration, mon jugement
reste fort subjectif...

La question qu'il faut se poser est donc : sur deux tables circulaires de 7
pieds de diamètre, combien peut-on faire tenir de casseaux ? La réponse est
: 30 000 casseaux, sans aucun problème.

Réponse qui heurtera l'intuition, mais pas l'arithmétique et la géométrie
élémentaires ! Supposons, pour simplifier : 1. que le pied en question
correspond bien au pied anglo-saxon, qu'on se donnera égal à 30 cm ; 2.
qu'une table de 7 pieds de diamètre aura un rayon sensiblement égal à 100 cm
; 3. qu'on se donne une valeur de pi égale à 3.

La formule élémentaire de la surface du cercle donne alors, pour chaque
table, une surface de : 3 x 100 x 100 = 3 x 10 000 =  30 000 cm carrés -
soit 60 000 centimètres carrés pour les deux tables (supposées égales).

D'où : 30 000 casseaux de 2 centimètres carrés chacun. Certes, on est en
deçà des "3 centimètres carrés" que vous évoquez (en vertu de quelle
référence ?). Mais l'ordre de grandeur est déjà correct.

Si l'on suppose des caractères de 5 mm de côté (soit 25 mm carrés), on peut
en ranger 8 dans un tel casseau - ou 6 si on enlève l'épaisseur des
cloisons. Si l'on se donne des caractères d'une taille analogue aux types
ouïgours en bois, de la même époque, soit 13 mm, il est clair qu'on n'en
logera qu'un par casseau de 2 cm carrés - quitte à en empiler plusieurs
(mais on sera limité par l'étroitesse du casseau pour ce qui est d'en
repêcher trop profondément). On sait qu'ils avaient une hauteur de papier de
22 mm.

En tout état de cause, il convient de se rappeler que, les caractères
chinois représentant des mots, il en faut sensiblement moins, pour une
production équivalente, que de caractères alphabétiques latin dans une casse
- 6 à 7 fois moins, si l'on reprend l'équivalence de calibrage usuellement
admise. Et, bien entendu, en dehors des caractères usuels, les mots rares
n'auront en général pas besoin d'exister en exemplaires très nombreux.

Voilà : à vous de décider si ça vous paraît plausible...


> De : "Pierre Schweitzer" <pierre.schweitzer@xxxxxxxxxxx>
> Répondre à : typographie@xxxxxxxxxxxxxxx
> Date : Wed, 12 May 2004 09:43:19 +0200
> À : <typographie@xxxxxxxxxxxxxxx>
> Objet : Re: [typo] contribution et codage
>
> Re: [typo] contribution et codage
> Merci pour toutes ces références
>
> J'avais bien vu l'article de F. Marcouin et c'est justement la description
> qu'il donne de ces casses tournantes pouvant contenir 30.000 caractères qui
> m'avait intrigué car il n'y a aucune illustration et la source de cette info
> n'est pas précisée.
>
> Encore une fois, il n'y a absolument aucun doute là dessus : les usagers du
> Chinois, à l'écrit ou à l'oral, sont capables de classer* leurs mots et
> leurs signes. C'est une autre affaire d'organiser matériellement le
> rangement et l'accessibilité de 30.000 à 100.000 caratères différents, en
> plusieurs exemplaires souvent, mesurant chacun trois bons centimètres carrés
> de section...
>
> Sur cette illustration en effet, les tables doivent avoir environ cinq pieds
> de diamètre et non sept mais est-ce que cela change la nature du problème ?
> Je ne vois guère plus de quelques centaines de pièces sur un dispostif comme
> celui-là !
> http://www.cgan.com/english/english/cpg/images/pgcp86.jpg
>
> Pierre Schweitzer
>
> * : Il y a même des critères purement numériques et graphiques dans ce
> classement que je trouve très intéressants : le nombre de clés, le nombre de
> traits par signe...
>
>
> _ _ _
>
> De : Jean-François Roberts jean-francois.roberts@xxxxxxxxxx
>
> Pour les "tables tournantes" de Wang Zhen, voir l'étude de F. Macouin ("La
> typographie en Extrême-orient jusqu'au XVe siècle") dans _Les Trois
> Révolutions du livre_, p. 67, colonne de droite, l. 6-14. J'ai déjà cité ce
> paragraphe in extenso, dans un message précédent. Je n'ai pas eu accès à
> d'autres référence. Sans doute faudrait-il se reporter aux études de T. F.
> Carter et de Tsien Tsuen-Hsiun, déjà citées. (On évitera de confondre notre
> typographe - agronome de profession, en fait - avec de nombreux homonymes,
> en particulier le commentateur de Lao Zi, pendant l'ère Tang [IXe siècle] ;
> ou le grand eunuque de l'ère Ming [XVe siècle], ou le général de la Longue
> Marche et ancien vice-président de Chine populaire ; ou l'artiste de la
> Belle Epoque...)
>
> Pour une illustration (et de nombreux spécimens des premiers siècles de la
> typographie chinoise), voir le site du Chinese Graphic Arts Net (attention !
> page d'accueil en chinois ;) :
>
> http://www.cgan.com/english/english/cpg/engcp20.htm
>
> (L'illustration de la casse de Wang Zhen n'est sûrement pas d'époque... et
> les tables tournantes figurant sur la gravure n'ont guère "sept pieds de
> diamètre".)
>
>