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Message : Re: [typo] contribution et codage

(Jean-François Roberts) - Jeudi 13 Mai 2004
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Subject:    Re: [typo] contribution et codage
Date:    Thu, 13 May 2004 08:34:47 +0200
From:    Jean-François Roberts <jean-francois.roberts@xxxxxxxxxx>

Title: Re: [typo] contribution et codage
Merci de la réaction - qui rejoint (et dépasse largement ;) quelques-unes de mes propres préoccupations...

Sauf à consulter l'ouvrage (500 pages...) de Tsien Tsuen-Hsuin, je n'ai pas d'autres lumières sur la casse de Wang Zhen... En tout cas, au dire de Wang Zhen lui-même, c'était bien un dispositif "opérationnel", puisque c'est ainsi qu'il avait composé (ou fait composer) un de ses livres.

Cela dit, avant de se faire l'avocat du diable, réfléchissons aux circonstances atténuantes...

D'abord, les dimensions des caractères : il seraient bien de 13 mm  de côté (rappellons que tous les caractères chinois sont des            *carrés* - sans exception aucune, si ce n'est, à l'époque moderne, quelques cas de demi-carré) ; les 22 mm concernent la hauteur de papier. Ceci, dans le cas où les caractères de Wang Zhen auraient eu des dimensions analogues au types ouïgours de même époque (qui, eux, n'étaient pas carrés...). Ce qui, si je ne m'abuse, fait 1,7 cm carré. Je veux bien admettre que des caractères chinois de 25 mm carrés seraient anachroniques (à vérifier ?).

Dans un casseau de 2 cm carrés, la man¦uvre est quasi impossible - ça me paraissait clair. A moins que...

Dans le recueil _Les Trois Révolutions du livre_, on trouve, p. 137, la notice du document n° 25, qui n'est autre qu'une longue citation du lettré Shen Gua, tirée de _Mengxi bitan_ (_Les Propos du torrent du rêve_ : 1086-1091), qui est le témoignage ayant immortalisé l'invention de Bi Sheng : la typographie à caractères mobiles (en terre cuite), vers 1041-1048. (Se méfier, suivant les auteurs du recueil, de l'alternance entre transcriptions pinyin et Wade-Giles : ce dernier système donne Pi Sheng et Shen Kua... Le système de l'EFEO, pour sa part, donnait Pi Cheng et Wang Tchen, soit dit en passant.)

"Pour chaque caractère, il existait plusieurs types, et pour les plus courants on en comptait jusqu'à vingt ou plus, disponibles en cas de fréquence multiple dans la même page. Pour les caractères en provision, Bi Sheng avait aménagé des casiers de bois étiquetés, distinguant chaque mot de chaque groupe phonétique. Certains caractères rares, qui n'étaient pas prêts d'avance, étaient découpés en fonction des besoins et cuits dans un feu de paille. (...)"

Et c'est tout ce que nous saurons de la casse de Bi Sheng. Mais ça permet d'éclairer sous un jour nouveau la casse de Wang Zhen. Remarquons d'abord le faible nombre de caractères nécessaires : un vingtaine, pour les plus fréquents. 1 ou 2, sans doute, pour les non usuels (et une présence "virtuelle" pour les caractères rares !). Ensuite, on remarquera que Bi Sheng avait déjà adopté le classement, pour sa casse, qu'adoptera Wang Zhen par la suite : un classement phonétique (dictionnaire des rimes).

Rappelons que les casses primitives n'étaient pas faites pour composer un *livre*, mais bien une *page* (ce qui est vrai aussi bien de l'imprimerie gutenbergienne), ou deux pages, si l'on admet que l'ouvrier composait une page pendant que la précédente était en forme à l'impression (pratique des premiers typos chinois déjà...). Et que les caractères chinois étant des *mots*, il en faut sérieusement moins, à composition égale, que de lettres de l'alphabet latin. Enfin, les caractères de Wang Zhen étaient bien en bois, et non en plomb. Ceci, pour relativiser le poids de la masse typographique proprement dite, par opposition à la casse la contenant.

Ceci, pour lettre la puce à l'oreille : nous raisonnons en fonction de casses conçues pour un nombre (relativement) réduit de types différents, de taille excessivement variable qui plus est, et dont chacun est présent en un (très) grand nombre d'exemplaires. Or, il faut imaginer une casse convenant au cas exactement inverse : un (très) grand nombre de types distincts, de taille uniforme, et présents en (très) petit nombre chacun...

Pourquoi cette remarque ? Tout simplement parce que la fonction du *casseau* n'est plus la même, dans l'un et l'autre cas. En typo européenne, le casseau est essentiel, pour assurer la ségrégation de chaque collection de types correspondant à un caractère distinct : d'où le réflexe "1 caractère - 1 casseau". En typo chinoise, cette précaution devient presque superfétatoire (surtout en composition à la page).

Que nous dit Shen Gua, justement ? "(...) Des casiers de bois étiquetés, distinguant chaque mot de chaque groupe phonétique".

Ce qui semble clair, à nos yeux d'Européens, mais qui est trompeur, si on songe à ce qui vient d'être dit. Shin Gua ne nous dit en effet précisément *pas* que Bi sheng disposait de "casiers de bois distincts pour chaque mot de chaque groupe phonétique", mais bien de "casiers de bois étiquetés, *distinguant* chaque mot de chaque groupe phonétique" (souligné par moi).

Ce qu'il faut, à mon avis, interpréter de la sorte : les étiquettes indiquaient le *contenu* du casseau, qui ne contenait pas un *mot*, mais *tous les mots d'un groupe phonétique*.

En quoi est-ce que ça change (fondamentalement) les données du problème ? Tout simplement parce que, si on admet que les casseaux de Wang Zhen ne contenaient pas chacun *un* caractère distinct, mais un *groupe* de caractères, dont la plupart n'ont que 1 ou 2 exemplaires, l'organisation de la *casse* n'est plus du tout la même !

D'abord, on gagne une place considérable, rien qu'en supprimant un nombre important de cloisons. Ce qui suffirait déjà, dans les casseaux "de groupe", à dégager la place pour y plonger les doigts sans encombre. On gagne incidemment également du poids... Et, si on admet qu'on peut se permette d'empiler des caractères différents (à éviter ;), puisqu'ils sont étiquetés sur le casseau, le gain en surface devient faramineux, vu le nombre de caractères en cause...

Enfin... Nous n'en saurons pas plus. Simple hypothèse, donc.

Ma se non è vero... ;)




De : "Pierre Schweitzer" <pierre.schweitzer@xxxxxxxxxxx>
Répondre à : typographie@xxxxxxxxxxxxxxx
Date : Thu, 13 May 2004 01:12:38 +0200
À : <typographie@xxxxxxxxxxxxxxx>
Objet : Re: [typo] contribution et codage


Merci pour vos constructions, admirables, et pour l'escalier. Elles nous donnent une idée concrète du problème à résoudre.

Moi aussi, j'aimais bien vos deux casses-tambours version 2.5.

Je m'étais même hasardé à en évaluer le volume et le poids : 5 m3 de volume utile et un peu moins d'une tonne pour chaque tambour (vide), les deux tambours manoeuvrés par un seul homme assis... À défaut de roulement à billes pour mettre en branle le dispositif sans trop d'effort (et en restant assis), on aurait pu imaginer que les fûts soient suspendus à des cordes nouées sur leur axe pour permettre la rotation aisée des tambours et que leur axe inférieur soit simplement maintenu en place sans appui, pour éviter tout frottement. Pas gagné d'avance mais pas infaisable non plus, si le plancher du dessus était capable d'en soutenir la charge... À défaut de suspension pour éviter les frottements, je pense qu'il aurait été impossible à une personne seule de manoeuvrer de tels "tonneaux" toute seule...

Curieux aussi qu'aucun témoignage contemporain (récit ou gravure) n'atteste l'existence d'un tel mobilier, qui ne devait pas passer inaperçu, bien plus imposant par exemple que les roues à livres de nos ingénieurs de la Renaissance ici.

Wang Zhen décrit-il un dispostif d'imprimerie opérationnel ou un dispositif expérimental de son invention ? C'est toute la question...

Côté manip, pas évident non plus. À supposer qu'ils soient manoeuvrés sans frottement, ces deux tambours (7 mètres de circonférence, environ 1 tonne chacun) devaient bien avoir une certaine inertie. Les mettre en mouvement pour accéder au caractère diamétralement opposé devait soit nécessiter un certain laps de temps à vitesse très réduite, soit nécessiter un astucieux système de freinage en vitesse de croisière ;-) Bref, sur le papier, le dessin du meuble semble encaisser le nombre de casseaux requis mais j'aimerais quand-même bien le voir fonctionner...

Le nombre des casseaux semble suffisant. Mais qu'en est-il de leur taille ? Restons-en aux deux tabours version 2.5 cm (coté des casseaux) puisque les casseaux des tables sont très inférieurs encore (2 cm carrés = 1.4 cm de côté)... Il s'agit quand même de plonger deux doigts au moins dans le casseau pour saisir un caractère. Et même pour un Chinois du XIIème siècle, je ne vois pas comment cette opération serait, sinon aisée, au moins possible en dessous d'une côte de... 3 cm de côté, disons. Égale 9 centimètres carrés sans le cloisonnement. Disons même 10 cm² pour un cloisonnement de 3 mm qui est assez improbable pour l'époque. Donc en version plateaux (tables), les casseaux que vous décrivez me semblent au moins 5 fois trop petits. En version tambour avec casseaux verticaux, c'est pire encore : il faut pouvoir y plonger la main. Sauf à empiler les caractères tout au bord du cylindre et à s'en saisir sans rien faire tomber, ils seraient plûtôt emmagasinés au fond des alvéoles et s'agissant de cavités horizontales, un minimum de profondeur s'impose pour éviter leur chute. D'où le passage de la main pour en attrapper un. Votre hypothèse sur la taille des casseaux me semble trois fois trop faible en taille, égale neuf fois trop faible en surface de rangement. Les tambours contiennent neuf fois moins de casseaux que prévu, ou bien ils sont neuf fois trop petits.

Encore que... j'ai complétement oublié jusqu'ici la taille des caractères aux-même. Il me semblait assez évident que les livres ou les journaux chinois contemporains utilisent une taille de caractères très inférieure à celle que connaissait Wang Zhen. Et je citais de mémoire une taille de caractère mentionnée dans une des références que vous avez citée d'ailleurs 13 mm sur 22 mm que j'avais arrondis à 3 centimètres carrés pour fixer un ordre de grandeur. Mais combien y avait-il de caractères dans chaque case ? Extrèmement variable, il me semble. C'est un autre aspect du problème. En tout cas, il est clair à mon sens que des casseaux de 2cm² étaient nettement trop petit pour contenir le nombre de caractères nécessaire : ils n'auraient même pas pu en contenir un seul.

Pierre Schweitzer