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Message : Re: [typo] contribution et codage

(Jean-François Roberts) - Jeudi 20 Mai 2004
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Subject:    Re: [typo] contribution et codage
Date:    Thu, 20 May 2004 00:25:42 +0200
From:    Jean-François Roberts <jean-francois.roberts@xxxxxxxxxx>

Title: Re: [typo] contribution et codage
Oui et non...;)

Vous avez la vision habituelle de l'Européen non sinisant, qui souscrit (depuis Leibniz au moins... et à nouveau sous la plume d'un Etiemble, par exemple) au mythe d'une écriture chinoise "conceptuelle" (les "idéogrammes"), faisant litière de la complexité véritable de ce sytème graphique. (Sans être moi-même sinisant ou sinologue, j'ai quand même eu le temps, au fil des ans, d'emmagasiner quelques notions - d'où la présente discussion, qui a le mérite de m'obliger à affiner lesdites notions.:)

En fait, tout comme les hiéroglyphes égyptiens, par exemple, les caractères chinois sont eux-mêmes très largement phonétiques (eh oui !) - on a pu estimer à... 97 % la proportion de caractères chinois (ou de groupes de caractères) ayant cette nature...

Pour mieux comprendre comment ça marche, voir ce petit essai humoristique, expliquant comment les "caractères anglais" (yingzi : de "yingguo" [anglais] et "zi" [mot]) fonctionnent (si l'anglais s'écrivait selon un système analogue au système chinois) :

http://www.zompist.com/yingzi/yingzi.htm

(C'est là en fait, de la politique-fiction : les Japonais avaient très sérieusement institué une commission, dans les années 1940, pour déterminer comment écrire l'ensemble des langues du monde selon le système d'écriture sino-japonais, dans la perspective d'une victoire mondiale des forces de l'empire du Soleil-Levant...)

On comprendra mieux, dès lors, pourquoi, pendant près de 10 siècles, les Chinois eux-mêmes ont pu privilégier les dictionnaires organisés phonétiquement : les rimes sont souvent déjà présentes dans le caractère (ou groupe de caractères) pour le mot. La            "robustesse" que vous attribuez au classement par clés est donc... toute subjective, dirons-nous.

Pour se fixer les idées, on pourra se référer aux travaux d'un grand spécialiste américain qui, il est vrai, a presque poussé la chose - par réaction à l'idée reçue du pictogramme-idéogramme - à l'extrême inverse. Mais ça reste une médecine salutaire :

John DeFrancis, _The Chinese Language: Fact and Fantasy_, Honolulu, University of Hawaii Press, 1994 ; Id., _Visible Speech: The Diverse Oneness of Writing Systems_, Honolulu, University of Hawaii Press, 1989.

De toute manière, de nos jours encore, si vous voulez saisir du texte chinois (sous Word, mettons), la méthode la plus directe sera de saisir le mot cherché sous forme "phonétique" (semi-alphabétique, ou syllabique) - pinyin pour le chinois, par exemple (ou romaji ou hiragana pour le japonais). Word vous propose aussitôt un caractère. Selon la loi des probabilités, ce caractère n'est pas celui que vous voulez écrire. Appuyez sur la barre d'espacement : une boîte de dialogue apparaît, contenant 10 caractères candidats. Si le bon apparaît, sélectionnez-le (à la souris ou en saisissant son numéro). Sinon, cherchez les 10 caractères suivants (clic de souris, ou touche "défilement vertical-bas"). Et ainsi de suite... Pour l'explication (Word 2000 ou 2002 sous Windows 2000), voir les instructions (en anglais) de N. Sivin, de l'universté de Pennsylvanie :

http://ccat.sas.upenn.edu/~nsivin/chinp.html

En 10 siècles, on n'a guère fait qu'électrifier la méthode de Bi Sheng ! </mauvaise foi>

En définitive, il faut se souvenir que, l'écriture chinoise n'étant pas (pseudo-)orthographique, "apprendre un caractère" ça n'est jamais apprendre "simplement" une correspondance symbole graphique-sens, mais encore (et en même temps) la correspondance avec le son afférent (comment "lire" le caractère, ou groupe de caractères).

Et il semble donc que le codage d'une police de chinois (ou de japonais ou de coréen) inclurait, dans la table de caractéristiques de chaque caractère, sa transcription phonétique (ou ses transcriptions, dans les divers systèmes en vigueur : piyin mais aussi bopomofo pour le chinois, par exemple). Enfin, je pense que c'est là que se situe l'indication - à moins que Word ne fasse ça à l'aide d'un dictionnaire, au niveau de l'application, donc (à vérifier).

Voir l'ouvrage (monumental, mais technique sans concession et composé en grande partie de pages de code, après les considérations qui en font l'intérêt pour un généraliste - soit 50 % de l'ouvrage) :

Ken Lunde, _CJKV Information Processing_, O'Reilly & Associates, 1998.

Les dictionnaires de japonais les plus récents organisent d'ailleurs leurs index de kanji selon un principe phonétique (ordre alphabétique romaji).


De : "Pierre Schweitzer" <pierre.schweitzer@xxxxxxxxxxx>
Répondre à : typographie@xxxxxxxxxxxxxxx
Date : Wed, 19 May 2004 09:17:28 +0200
À : <typographie@xxxxxxxxxxxxxxx>
Objet : Re: [typo] contribution et codage



Oups. Oui bien sûr vous avez raison. Si quelqu'un faisait la lecture de l'original à l'ouvrier typographe, la casse ne pouvait être organisée qu'à partir du dictionnaire de rimes...

C'est d'ailleurs un point étonnant du dispositif. Le classement par clés existait et si j'ai bien compris, il était plus robuste dans son utilisation puisqu'un idéogramme était retrouvé par similitude et classement graphique du caractère, plutôt que par sa vocalisation qu'il fallait connaître forcément pour le retrouver.

On peut supposer que le lecteur est le typo pouvaient avoir des niveaux de formation très différents. On peut supposer aussi qu'un lecteur puisse s'adresser à plusieurs ouvriers typographes pour accéder plus rapidement à cette casse gigantesque !

Tiens à propos, vu sur Amazon.com : est annoncé pour une parution en juin, l'édition paperback du volume consacré au langage et à la logique en Chine de la collection Science and civilisation in China. Paperback mais cher quand-même, les volumes hardcover sont hors de prix.

Pierre Schweitzer


----- Message d'origine -----
De : Jean-François Roberts <mailto:jean-francois.roberts@xxxxxxxxxx>  
À : typographie@xxxxxxxxxxxxxxx
Envoyé : mercredi 19 mai 2004 00:16
Objet : Re: [typo] contribution et codage

Eh non... pas d'"avant les dictionnaires de clés". Le premier dictionnaire de clés connu est le, _Shuowen jiezi_ de Xu Shen, paru en 121 de notre ère - soit 5 siècles avant le premier dictionnaire de rimes connu (le _Qieyun_ de 601) !

Simplement, les premiers typographes chinois (Bi Sheng et Wang Zhen aussi bien) ont considéré que, vu les conditions de production (où quelqu'un tenait la copie pour l'opérateur typo), le dictionnaire des rimes était bien plus indiqué que celui des clés. D'autant que le nombre de rimes (206 du temps de Bi Sheng, 106 du temps de Wang Zhen, mais répartis sur 5 tons dans chaque cas), comme d'initiales (35), est sensiblement moindre (et donc plus facile à "naviguer") que celui des clés (540 pour le _Shuowen jiezi_ de Xu Shen, en 121 ; 214 encore pour le _KangXi zidian_ de  Zhang Yushu , en 1716).


De : "Pierre Schweitzer" <pierre.schweitzer@xxxxxxxxxxx>
Répondre à : typographie@xxxxxxxxxxxxxxx
Date : Tue, 18 May 2004 23:05:39 +0200
À : <typographie@xxxxxxxxxxxxxxx>
Objet : Re: [typo] contribution et codage



D'abord merci. Pour un néophyte comme moi, vos explications éclairent bien sur l'organisation et la manipulation possible d'une casse chinoise à cette époque des dictionnaires de rimes, avant les dictionnaires de clés.

(...)

Pierre S