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Message : Re: [typo] contribution et codage

(Jean-François Roberts) - Vendredi 21 Mai 2004
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Subject:    Re: [typo] contribution et codage
Date:    Fri, 21 May 2004 07:14:07 +0200
From:    Jean-François Roberts <jean-francois.roberts@xxxxxxxxxx>

Title: Re: [typo] contribution et codage
Je comprends vos inquiétudes, quant à la nature des caractères chinois. Mais, rassurez-vous : sur ce point, je n'ai fait que transcrire l'avis (et les chiffres !) de sinologues on ne peut plus authentiques et patentés, voire blanchis sous le harnois... qui tranchent en effet avec la vision habituelle que l'on a de la question.

Respirons un bon coup, et penchons-nous (très rapidement) sur la question.

Dictionnaires sémantiques, premiers dictionnaires de clés - les "six principes"

Sans revenir sur les origines mythiques de l'écriture chinoise (diversement attribuée à tel ou tel de l'un des empereurs légendaires - IVe-début IIe millénaire - ou l'un de leurs ministres, un candidat favori à ce titre étant Cangjie, ministre de l'Empereur jaune), on sait que la première normalisation des caractères est due à l'empereur Qin (221-210 avant notre ère), unificateur de l'empire du Milieu (Zhong) et fédérateur de l'ethnie chinoise (han - la dynastie des Han succéda d'ailleurs à celle des Qin en 206 avant notre ère, pour 4 siècles).

Qin, donc, manda son premier ministre Li Si de faire le nécessaire - d'autant que l'écriture avait fortement évolué, depuis les temps archaïques : ce fut le _Cangjiepian_, premier dictionnaire (officiel, donc) de la langue chinoise (qu'on ne confondra pas avec son homonyme plus tardif). Lui firent suite le _Yuanlipian_, dû à Zhao Gao, et le _Boxuepian_, dû à Huwu Jing, premier ministre (et grand astrologue) de  l'empereur Qinshihuang. Le grand incendie des livres ordonné par ce dernier, en 213 avant notre ère, n'allait pas arranger les choses... (Signalons encore le premier recueil lexicographique connu : le _Erya_ de Liuo Yuan, au IIIe siècle avant notre ère, dictionnaire de synonymes, pour la lecture des classiques confucéens.)

Sous les Han, parut enfin le premier classique, le _Cangjiepian_ ou _Sancang_ (3 300 caractères, dont un certain nombre de "monstres", défiant tout système...), synthèse des précédents - qu'on ne confondra pas avec son prédécesseur de même titre. Par la suite, Yang Xiong fit paraître un complément, le _Xunzuanpian_ (2 040 caractères). Ces deux ouvrages, aujourd'hui perdus (et classés selon un ordre *sémantique*, comme leurs prédécesseurs) nous ont cependant légués leurs caractères, puisqu'ils allaient servir de base au grand classique de la phase suivante : le dictionnaire de Xu Shen.

Enfin, couronnement d'un long travail d'érudition sous les Han, le _Shuowen jiezi_ (_Explication des caractères simples et analyse des [caractères] composés_), dû à Xu Shen, parut en 121 de notre ère. Il inaugure le classement par "clés", ou "radicaux" ou "déterminants" ("bushou" : au nombre de 540 chez Xu Shen), tout en indiquant de nombreuses graphies plus anciennes.

Et, chose non moins précieuse, Xu Shen a préservé les catégories de caractères établies par les érudits de son époque, qui demeurent, peu ou prou, en vigueur de nos jours : les "six catégories" ("liushu"). On les résumera ainsi, sans entrer dans les sous-catégories et exemples fournis par le _Shuowen jiezi_ :

1. Indiquant la chose signifiée ("zhishi", ou "chushi" ou "xiangshi") : symboles.
2. Figurant la forme ("xianxing") : pictogrammes.
3. Forme et son ("xingsheng", ou "xiesheng", ou "xiangsheng") : phonogrammes.
4. Assemblage de sens ("huiyi", ou "xiangyi") : idéogrammes.
5. Défléchis ("zhuanzhu") : dérivés, doublets.
6. Emprunts ("jiajie") : reprise d'un caractère phonétiquement proche.

Au XXe siècle, on proposera un abandon de cette structuration bimillénaire, en réduisant le nombre de catégories à 3. Ainsi, Tang Lan proposera son système ("sanshu shuo"), distinguant pictogrammes ("xiangxing" : catégorie 1 et une partie de la catégorie 2 du _Shuowen_), idéogrammes ("xiangyi" : cat. 4 et une partie de la cat. 2 du _Shuowen_), et idéophonogrammes ("xiangshang" : essentiellement, la cat. 3 du _Shuowen_). Cheng Mengjia, pour sa part, proposera une partition de principe différent : pictogrammes ("xiangxing"), idéophonogrammes ("xingsheng) et emprunts ("jiajie"). Mais ces propositions n'ont guère eu d'échos dans la pratique.

Phonogrammes, éléments phonétiques et rimes

On considère généralement que la catégorie 3 (phonogrammes) du _Shuowen jiezi_ représente, à elle seule, 90 % des caractères chinois. Si l'on y ajoute la catégorie 6, on comprendra le chiffre de 97 % de caractères de nature phonétique, sur lequel s'accordent les sinologues.

Pour ce qui est de la catégorie 6, elle ne fait guère problème. Voyons ce qui s'est passé : le procédé a souvent servi pour des termes courants, mais abstraits (ou difficilement représentables : ainsi, le mot "wo", pour "moi"), conjonctions ou particules grammaticales, en particulier, pour lesquels on a tout simplement emprunté le caractère d'un homophone. Ainsi, le caractère signifiant "nai" ("sein") a été emprunté pour signifier "nai" ("donc"). Rétroactivement, on lui a donc adjoint le radical "nu" ("femme"), pour signifier à nouveau "sein", "lait"... De même le caractère pour "qi" (panier"), emprunté pour "qi" ("son, "sa"), et rétroactivement uni au déterminant "zhu" ("bambou") pour signifier à nouveau "panier"...

Pour comprendre le fonctionnement de la catégorie 3, il suffira de donner un exemple, en se rappelant ce qu'on vient de voir pour la catégorie 6 : qing1 (entendons : la voyelle "qing", affectée du premier ton) signifie "bleu", ou "vert", ou "herbe verte", ou "jeune" (on reste dans la dérive sémantique usuelle, étendant les acceptions d'un seul et même *mot*). Précédé du radical pour "eau" (shui3), le caractère indique le mot qing1, signifiant maintenant "pur", "purifié", "sans  mélange". En revanche, précédé du radical pour "c¦ur" (xin1), le caractère indique désormais le mot qin2, "sentiment", "affection", "gentillesse".

Pour cet exemple, voir sur le site de la Columbia University :

http://afe.easia.columbia.edu/china/language/teach.htm

Et, pour une idée plus complète de cet exemple (quing3 "requête", qing1 "maquereau", qing1 "libellule", qing4 ou jing4 "froid", qing1 "toilettes", jing1 "raffiné", jing4 "tranquille", jing1 "¦il", "jing1 "abondant" "touffu", jing4 "pacifier", jing4 "modeste" "souple", jing1 "fleur de poireau", jing4 "maquiller", jing1 "oiseau d'eau", jing1 "musaraigne"), voir le tableau fourni par J. Rolle, malheurement seulement accessible par le cache Google :

http://64.233.161.104/search?q=cache:EppNTkeaz3wJ:homepages.stuy.edu/~jrolle/chinese/qing.htm+%22phonetic+elements%22+AND+chinese&hl=en&ie=UTF-8

On l'a compris : derrière son radical (sa clé), l'élément qui, isolément, figure le caractère pour qing1 ("vert", "herbe verte") n'est autre que... la rime du mot. Plus généralement, cette composante des caractères répondant à la définition de la catégorie 3 de Xu Shen (soit 90 % des caractères chinois, répétons-le) est ce qu'on est convenu d'appeler l'"élément phonétique" du caractère où il intervient. Divers auteurs se sont appliqués à comptabiliser les éléments phonétiques distincts, aboutisssant à des chiffres allant de 858 a 1 358... On a même voulu y voir un syllabaire chinois. Mais là, force est de constater que, si le procédé est systématique, il est tout sauf cohérent, se contentant souvent d'à peu près.

Surtout, bien entendu, la similitude phonétique est bien souvent masquée, ou peu intelligible, du fait de l'évolution phonologique de la langue, qui a fait diverger certains mots anciennement voisins phonétiquement, du temps de la constitution des caractères correspondants, en en faisant au contraire converger d'autres, précédemment dissemblables...

Les dictionnaires des rimes

En tout état de cause, on comprendra mieux, dès lors, l'émergence - dès l'époque du _Shuowen jiezi_ - du premier dictionnaire organisé selon des principes *phonétiques*, le _Shiming_ (Interprétation des mots_), dû à Liu Xi (ou Liu Zhen), qui cherche à mettre en rapport sémantique et phonologie. Enfin, en 601, paraîtra le _Qieyun_ (_Rimes coupées_), premier dictionnaires des rimes, inaugurant une phase de la lexicographie chinoise qui aller perdurer 10 siècles.

On érige alors en système ce qui, dans le dictionnaire des clés, apparaît comme un accident : la similitude graphique, pour 97 % des caractères, correspond à une similtude phonétique des mots correspondants, les caractères se distinguant alors par le déterminant - la clé ou radical.

Cette phase s'achèvera avec le _Peiwen yunfu_ (_Office de rimes des mots composés_) de Zhang Yushu, commandé par l'empereur Kangxi. Il précédera de peu le _Kangxi zidian_ (_Dictionnaire de caractères [de l'ère] Kangxi_), dû au même Zhang Yushu, toujours pour l'empereur Kangxi , qui renoue avec la tradition des dictionnaires de clés, inaugurée par le Shuowen jiezi_ - et qui indique les prononciations, pour chaque caractère, par référence aux recueils de rimes existants (à l'instar de ce que Xu Xuan avait fait pour le _Shuowen jiezi_, au Xe siècle).

Sur tout ceci, voir l'ouvrage d'Edoardo Fazzioli, _Caractères chinois_, déjà cité. Et le site (en français !) de Fabienne Marc, enseignante à l'INALCO :

http://perso.wanadoo.fr/fabienne.marc/accueil.htm

Plus particulièrement :

http://perso.wanadoo.fr/fabienne.marc/CHI521A/Handout_4.htm

Et le site d'Ulrich Theobald (en anglais) :

http://www.chinaknowledge.de/

En particulier :

http://www.chinaknowledge.de/Literature/Science/shuowenjiezi.html

Voir encore les liens fournis par Marjorie Chan, enseignante à la Ohio State Univerity :

http://ChinaLinks.osu.edu/

Enfin, on comprend la distinction que vous voulez préserver, qui interdirait toute confusion sémantique, du fait que les homonymes                       *phonétiques* (homophones) se distingueraient par une représentation graphique ("conceptuelle") distincte. Un seul contre-exemple suffira : "hual" (mot qui ne connaît qu'un seul et même caractère comme représentation) pourra signifier aussi bien "fleur" ou "acheter".

Voir le cours de sémantique lexicale chinoise  de F. Marc, sous l'entrée "Homonymes" :

http://perso.wanadoo.fr/fabienne.marc/CHI434B/toutcours.htm




De : "Pierre Schweitzer" <pierre.schweitzer@xxxxxxxxxxx>
Répondre à : typographie@xxxxxxxxxxxxxxx
Date : Thu, 20 May 2004 17:50:56 +0200
À : <typographie@xxxxxxxxxxxxxxx>
Objet : Re: [typo] contribution et codage


Jean-François Roberts  jean-francois.roberts@xxxxxxxxxx  écrivait,
à zéro heure vingt-cinq, le 20 mai :

Oui et non...;)
Vous avez la vision habituelle de l'Européen non sinisant (...)

_ _ _


Non sinisant, en effet. Ce qui ne m'empêche pas d'essayer d'imaginer avec délice, comment fonctionnait la casse de Pi Sheng et celle de Wang Zhen : vaguement sinophile disons, sur la question de l'imprimé en tout cas.

Vous y allez fort en écrivant que les caractères chinois _sont_, _très largement_ phonétiques. Il n'y a aucune indication strictement phonétique dans la graphie des caractères. Certains se prononcent comme d'autres, à la suite d'une combinaison graphique ou d'une déclinaison sémantique : d'accord. À la limite, on pourrait parler... d'homonymes ? Homonymes monosyllabiques, certes. Ça n'en fait pas du Chinois une écriture alphabétique (!-), vu le nombre astronomique de syllabes et de nuances tonales, ainsi codées !

Ça n'arrange pas mon doute au sujet de la casse de Wrang Zhen... Au contraire. Si les caractères homophones ou ceux qui sont apparentés par leur rime, sont regroupés dans le même cassetin, ça complique encore leur accès car ils ont également, si j'ai bien compris, de fortes similitudes graphiques...

Pierre Schweitzer

PS : Grand merci pour vos références anglophones. Dans Google, on trouve aussi des ressources francophones et même libérées de leur taule en papier (sinophile je vous dis ;-) http://expositions.bnf.fr/chine/reperes/1/index3.htm