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Message : Re: [typo] IK ÉA + « Leet speak » ou « 1337 5p34k »

(Jean-François Roberts) - Dimanche 24 Septembre 2006
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Subject:    Re: [typo] IK ÉA + « Leet speak » ou « 1337 5p34k »
Date:    Sun, 24 Sep 2006 20:14:58 +0200
From:    Jean-François Roberts <jean-francois.roberts@xxxxxxxxxx>


> De : Alain Joly <alain.joly3@xxxxxxxxxx>
> Répondre à : typographie@xxxxxxxxxxxxxxx
> Date : Sun, 24 Sep 2006 19:33:13 +0200
> À : typographie@xxxxxxxxxxxxxxx
> Objet : Re: [typo] IKÉA + « Leet speak » ou « 1337 5p34k »
> 
> (...)
> 
>> C'est quand même le B-A BA du marketing : vendre de l'originalité de masse.
>> D'où ce clin d'¦il assez cynique, il est vrai : consommer du meuble standard
>> IKEA, c'est affirmer sa différence, en réagissant contre le conformisme.
>> L'ironie est donc dans l'intention (une fois de plus) du publicitaire, qui
>> n'est pas dupe (et suppose que nombre de ses lecteurs ne le seront pas plus)
>> d'une telle contre-vérité, bien entendu. L'antiphrase est un trope ironique
>> par excellence. (Voir encore les campagnes basées sur la "nature", le
>> "brut", le "sauvage", l'"authentique", etc.)
> 
> Vous mélangez deux principes : l'amalgame
> "nature", "brut", etc. n'a rien à voir avec ce
> que vous nommez "l'originalité de masse". Dans le
> premier cas on vend un "rêve" au consommateur :
> utilisez tel savon et la douche de votre salle de
> bains se transformera chaque matin en une
> merveilleuse cascade tropicale. "L'originalité de
> masse" incite à acheter ce qui est la marque
> d'une différence, même si elle est accessible à
> un plus grand nombre à l'instant ; le fabricant
> d'automobiles Mercedes réussit parfaitement dans
> ce créneau de communication pour vendre ses
> produits d'entrée de gamme.

Malheureusement, ça n'est pas moi qui "mélange" : vous oubliez que la pub
fonctionne justement sur ces glissements, amalgames, etc. que vous condamnez
(méconnaissant ainsi la nature même de la démarche publicitaire, qui n'est
bien entendu pas d'éclairer le lecteur, mais bien de l'embrouiller. Ce qui
n'est pas, en l'occurrence, un jugement moral, mais une analyse
*fonctionnelle*.).

Il suffit en effet de se reporter à la couverture incriminée - comme
toujours dans les jugements normatifs sur cette liste, on cite un mot, ou un
membre de phrase, hors de tout contexte, ce qui permet d'en tirer des
conclusions du style "destruction du sens" (oui, la phrase qui vous pose
problème dans mon message précédent ne fait que reprendre - avec le point
d'interrogation que ça appelle - les termes mêmes employés par vous dans le
message auquel je répondais - mais enfin, la mémoire est courte, etc.).

Que dit le  message de couverture, en effet ?

IL EST TEMPS DE
SE RETROUVER!
R?AGISSEZ

Tout ce qui suit, en 2e de couv. et dans les pages liminaire du catalogue,
développe ce thème de l'authenticité originelle :

RETROUVEZ-VOUS
RETROUVEZ LE TEMPS
RETROUVEZ L'ESPACE
RETROUVEZ LE SOMMEIL
RETROUVEZ LES INSTANTS MAGIQUES

Bien entendu, il ne s'agit aucunement, *dans les faits*, de "retrouver" quoi
que ce soit - simplement de trouver une solution clé en mains. Mais la même
démarche d'antiphrase ironique est utilisée pour renforcer ce message
d'"authenticité" de masse. Que ça soit roupie de sansonnet n'échappera pas
au lecteur standard du catalogue, qui en général ne s'arrête guère à ces
messages. Mais, pour peu que ça attire son regard, la suggestion opérera -
un tant soit peu, mais si ça peut faire progresser le chiffre d'affaires de
1 %, l'agence de pub. aura largement permis à IKEA de récupérer sa mise...

Encore une fois, l'intégrisme typo est parfaitement inopérant dans ce type
de contexte - ne vous en déplaise.

Il ne s'agit nullement de faciliter une "compréhension" discursive, en
l'occurrence, mais bien de permettre à ce type de suggestion d'opérer
(encore une fois, même si l'effet est marginal, la campagne aura rempli son
objectif). Je vous demanderai donc de vous enquérir des *fonctions* diverses
du langage, qui n'est pas uniquement celle de faire passer une information
factuelle, ou d'expliquer un raisonnement : ces fonctions sont sans doute
les moins importantes dans l'usage effectif de la langue - y compris
imprimée.

Et, de ce point de vue, ce "logo" (vous ne proposez aucun terme de rechange,
je garde donc celui-ci) répond parfaitement à la fonction qui lui est
assignée. 

(Que des lecteurs interpellés par un typo sur la correction typographique
dudit logo y aient "décrypté [sic !] là une erreur de composition" ne
saurait surprendre. Mais on est là à l'antipode du contexte de lecture
normal, justement !)