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Message : Re: [typo] IKÉA + « Leet speak » ou « 1337 5p34k »

(Alain Joly) - Dimanche 24 Septembre 2006
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Subject:    Re: [typo] IKÉA + « Leet speak » ou « 1337 5p34k »
Date:    Sun, 24 Sep 2006 19:33:13 +0200
From:    Alain Joly <alain.joly3@xxxxxxxxxx>

[Jean-François]

Ce n'est impénétrable que si vous vous faites plus pédant que vous
n'êtes...;) Le lecteur standard d'une page de couverture de catalogue
saisira distraitement (de façon "globale") le slogan "RÉAGISSEZ". Toutefois,
quelque chose le fera sans doute tiquer - du coup, il reviendra sur le mot,
et découvrira le "?". Mais il n'aura, bien évidemment, jamis perdu de vue le
sens décrypté l'instant d'avant.

Eh bien justement, je ne le crois pas... cette incongruité (je rappelle au passage que je n'ai pas été le seul, au début de ce fil, à penser immédiatement à une erreur d'interprétation du RIP lors du flashage de la couverture...) est apparue à tous ceux à qui j'ai montré cette couverture du catalogue (une dizaine de personnes, dans des tranches d'âges comprises entre 14 et 60 ans, avec une majorité autour de 30-40 ans, la "cible" donc).

TOUS ont décrypté là une erreur de composition, AUCUN n'y a vu ou compris un message quelconque. Pour être honnête, je dois toutefois avouer qu'une large majorité n'a pas remarqué le signe "différent de" a première "lecture" car ils ont cherché "l'erreur" dans l'image et ont avoué ne pas lire les textes... ;-)

Ce qui est important, et réussi, c'est de respecter le "look and feel" graphique Ikea qui identifie la marque depuis de nombreuses années. Mais il s'agit-là du B-A- BA de la communication, bien sûr !

On entre ici dans la particularité de ce type d'imprimé qui est "vu" et non "lu". La présence du signe "différent de" ne sert alors à rien... Un grand coup d'épé dans l'eau en quelque sorte.

Il ne lui viendra certainement pas à l'esprit, en tout cas, d'y chercher une
quelconque équation (ou inéquation !) mathématique ou logique. Prétendre
cela, c'est soit faire preuve de mauvaise foi, soit faire preuve de
l'aveuglement coutumier du typo qui ne voit plus que les signes, alors que
le lecteur ne voit que les mots...

Le problème n'est pas de voir, mais de comprendre (et donc d'assimiler) les mots. Et le lecteur ne comprend que les mots dont il reconnaît l'image. Cela est, nous le savons tous, très subjectif, et cette étude - vraie ou fausse, peu importe - de l'Université de Stanford, je crois (où l'on ne conserve dans un texte que la première et la dernière lettre de chaque mot à leur place, les autres étant mélangées) est troublante à ce titre car il faut reconnaître que le texte reste lisible assez facilement.

Mais qu'en est-il lorsqu'on remplace une lettre de l'alphabet par un signe étranger ? Je suis certain que le lecteur s'arrête, il n'a pas besoin d'être typo pour cela, et cherche à associer un sens à ce signe puis à l'intégrer au contexte. C'est bien sûr le jeu du rébus. Et c'est là où ils ont complètement raté leur coup.

Si ledit lecteur a le temps (ou l'envie)
de se poser la question (plutôt que de chercher immédiatement un modèle
d'étagère ou de meuble de cuisine), il comprendra sans doute l'intention
"réagissez, soyez différent". Car la langue, on l'oublie trop, est régie par
les intentions (ce qui n'est le cas ni de la mathématique, ni de la
logique).

"Soyez différent" est en soi une imbécilité pour un marchand de meubles et d'accessoires de masse : que ceux qui n'ont pas au moins un meuble Ikea chez eux lèvent la main. Eux sont "différents" :-D. De toutes les façons, le message retenu est donc l'expression d'un ratage dès ce niveau... (voir mon paragraphe sur la marque Mercedes, plus bas).

De là, partir sur une dérive style "destruction du/lutte contre (?) le sens"
est parfaitement hors de propos.

C'est quoi donc que ça veut dire quoi votre phrase comme sens ?... :-/

(J'appelle ça un logo faute de terme plus approprié à ma disposition : c'est
un ensemble mixte de caractères, comme on en voit souvent dans les logos.
D'où ma récupération du terme. Mais n'hésitez pas à en suggérer un autre, si
vous voyez mieux.)

Les gens qui s'occupent de la communication d'Ikea l'on nommé d'office "leur signature". Ce n'est en rien un logo.

 >> Ce que vous revendiquez là, ce n'est pas la
 transparence des utopistes, mais tout simplement
 la platitude de la société de consommation, à
 laquelle renvoie (ironiquement) le logo IKEA...

 Je suis en accord avec vous sur la platitude de
 la socété de consommation, mais j'aimerai
 également que vous nous démontriez l'ironie
 présente dans ce malheureux amalgame
 typographique.
 --

C'est quand même le B-A BA du marketing : vendre de l'originalité de masse.
D'où ce clin d'¦il assez cynique, il est vrai : consommer du meuble standard
IKEA, c'est affirmer sa différence, en réagissant contre le conformisme.
L'ironie est donc dans l'intention (une fois de plus) du publicitaire, qui
n'est pas dupe (et suppose que nombre de ses lecteurs ne le seront pas plus)
d'une telle contre-vérité, bien entendu. L'antiphrase est un trope ironique
par excellence. (Voir encore les campagnes basées sur la "nature", le
"brut", le "sauvage", l'"authentique", etc.)

Vous mélangez deux principes : l'amalgame "nature", "brut", etc. n'a rien à voir avec ce que vous nommez "l'originalité de masse". Dans le premier cas on vend un "rêve" au consommateur : utilisez tel savon et la douche de votre salle de bains se transformera chaque matin en une merveilleuse cascade tropicale. "L'originalité de masse" incite à acheter ce qui est la marque d'une différence, même si elle est accessible à un plus grand nombre à l'instant ; le fabricant d'automobiles Mercedes réussit parfaitement dans ce créneau de communication pour vendre ses produits d'entrée de gamme.

Et Mercedes s'y prend de façon bien plus intelligente que ne l'a fait l'agence d'Ikea. Mais elle a aussi un immense avantage : elle fabrique et vend également des automobiles de très haut de gamme, inaccessibles à la masse, justement... Posséder une "petite" Mercedes, c'est avant tout posséder une Mercedes.

Il est quand même étrange de devoir expliciter cette (dé)construction
basique du message publicitaire le plus conventionnel... à des gens qui
travaillent (en principe) dans les industries de communication.

J'ai appris qu'un message publicitaire devait être immédiatement compréhensible par la cible à laquelle il s'adresse, et signifier de même manière le produit qu'il promeut. Il doit pour cela utiliser le langage, les signes distinctifs, les fantasmes - pourquoi pas -, etc. de cette cible. Il n'est pas conçu pour permettre au "publicitaire" ou au "marketteur" de proclamer qu'il est intelligent, lui, et qu'il est capable de concevoir des raisonnements aussi tordus que les vôtres.

Et modestement, je n'ai la prétention de donner des leçons à quiconque, j'exprime un avis, une incompréhension et j'apprécie seulement de pouvoir en discuter avec d'autres.

Qu'on n'aime pas la publicité, la société marchande, le capitalisme, que
sais-je encore, est une chose. Prétendre qu'un tel mécanisme de
communication serait impénétrable, en revanche, me paraît irrecevable.

Vous mélangez décidément tout.

Mais ça marche, indiscutablement. Et, dans les cas pathologiques, ça donne
les fanas d'Apple (je précise que je suis moi-même utilisateur Mac depuis
pas mal d'années. Ça ne signifie pas que je me rends à ce marketing assez
cynique lui aussi.).

Justement, le duel Apple/Windows n'est plus aussi virulent qu'il l'a été depuis l'apparition simultanée du système X (qui a rendu le Mac bien moins simple d'emploi qu'auparavant, alors qu'il a gagné en performance) et de Windows XP (qui a su s'approprier intelligemment les qualités du système Apple). J'ai utilisé un Mac pour la première fois fin 1985, j'ai achété mon premier Mac au printemps 1986. C'est toujours ma machine de prédilection. Mais je ne suis plus le fanatique que j'étais il y a dix ans. Ce qui générait le "fanatisme" des "Apple-maniaques" n'était pas la communication de cette société, c'était la philosophie qui était sous-tendue par l'ensemble "matériel-logiciel" et, pour certain, il faut le reconnaître, le snobisme d'être "différent" (tiens !). Le marketing toujours agressif d'Apple ne lui a jamais fait passer le seuil des pauvres 5 ou 6 % du marché des micro-ordinateurs qu'il détient. Comme quoi !

Et les gens d'Apple ont bien compris la disparition de ce "fanatisme". On peut dès à présent faire tourner les systèmes d'esploitation majeurs du marché sur un Mac. Apple interdit d'installer OS X sur un PC et pourtant cela fonctionne plutôt bien dès à présent, les journalistes micro ne se sont pas privés de faire cet essai.

Je suis prêt à parier que dans moins de deux ans, Apple autorisera cette installation "contre nature" et que Steve Jobs vantera cette "qualité" avec le même aplomb que lorsqu'il a annoncé l'arrivée d'Intel dans ses machines, lui qui démontrait depuis 20 ans la supériorité des puces Motorola-IBM sur celles d'Intel... C'est bien vrai qu'il faut parfois être cynique, de mauvaise foi et avoir la mémoire courte pour faire du marketing...
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