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Message : Re: [typo] Rencontre du 4e type

(Yoann LE BARS) - Mercredi 21 Décembre 2016
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Subject:    Re: [typo] Rencontre du 4e type
Date:    Wed, 21 Dec 2016 14:57:23 +0100
From:    Yoann LE BARS <yoann@xxxxxxxxxxx>

	Salut à tous !

Le 21/12/2016 à 12:57, Eric Angelini a écrit :
>> une langue qui ne change plus est une langue morte
> 
> ... cliché. Les odes au changement commencent à me
> courir -- et la mort a d'innombrables vertus (j'emploie 
> du bois mort pour faire du feu)

	C’est peut-être bien un cliché, néanmoins les évolutions du langage
sont les bases de la linguistique. On peut se reporter à SAUSSURE (1916)
ou GARRIC (2001) – références complètes en fin de ce message. Il y a
plein d’autres références. On peut être révolté par cela, pas de
problème, mais toujours est-il que les langues en usage évoluent et ne
cessent d’évoluer que lorsqu’elles ne sont plus en usage. C’est un
horrible cliché, j’en conviens, mais ça n’en demeure pas moins quelque
chose de très clairement observé.

	Après, il y a tout de même un glissement très intéressant lorsque l’on
qualifie d’« ode au changement » un discours qui n’entend que de prendre
acte du changement.

	Donc, n’hésitons pas à aller plus loin dans les clichés : tout
changement n’est pas bon, en effet. Cela dit, tout changement n’est pas
mauvais non plus.

>> le terme « politiquement correct » a clairement été
>> introduit par la droite américaine
> 
> ... non, par la gauche américaine (et c'était bien vu) :
> https://en.wikipedia.org/wiki/Political_correctness

	Il y aurait beaucoup à dire sur l’évolution de cette locution, depuis
ce qu’elle voulait dire pour les staliniens à son acception actuelle. Je
conviens avoir fait un résumé trop rapide et être sujet à l’erreur. Cela
dit, en l’espèce, l’article cité au départ m’a fait penser à ce terme
parce qu’il est typiquement utilisé dans ce genre de cas et que,
justement, c’est un exemple de locution qui n’a véritablement été
adoptée que lorsqu’une part suffisamment représentative des locuteurs a
trouvé un intérêt à cette locution.

>> il est normal que la langue évolue
> 
> ... cliché. J'attends depuis lurette une définition
> du mot "normalité".

	Très bien, n’utilisons pas le terme « normal » :

	C’est un processus bien des fois observé que les langues vivantes évoluent.

	Après, je doute que la formulation incriminée ait pu être prise dans un
autre sens. Par ailleurs, je trouve intéressant de s’inquiéter des
évolutions constatées des langues et de reprendre une formulation
acceptée de très longue date.

	Cela dit, tout ceci ne porte pas sur le fond de mon propos, que je n’ai
peut-être pas assez bien exprimé : je trouve très douteux que
l’évolution d’une langue puisse être le fait d’un groupe qui ne soit pas
représentatif des locuteurs de la langue. Je ne connais pas d’exemple
durable d’une telle manipulation, en revanche on trouve de vrais échecs
d’une telle volonté.

> (Ceci dit, ceux qui
> dépriment sous la grisaille iront hurler de rire aux
> prétentions "linguistiques" en apesanteur du dernier 
> film de Denis Villeneuve, "Arrival". Nous recommandons
> la confection du premier dictionnaire anglais/heptapode,
> si, si).

	Je propose de disqualifier BERGERAC (1657) au motif qu’il a recours à
des éléments de physique aristotélicienne – la première tentative pour
atteindre la Lune, impliquant des fioles de rosée est typique de cette
physique – alors que l’auteur se déclare comme souscrivant à la physique
telle qu’a commencé à la construire Galilée – l’usage de fusée dans la
deuxième tentative est au contraire plus accord avec cette physique.

	L’usage des sciences dans la fiction n’est pas nouveau et il est au
demeurant représentatif de l’intégration dans la culture générale des
avancés de ces sciences.

	Chez John R. R. TOLKIEN, déjà, il y a l’intégration de la linguistique
dans le récit de fiction. Ce n’est guère surprenant dans la mesure où
lui-même était philologue. Umberto ECCO lui est un exemple de sémiologue
qui intègre son travail dans ses œuvres de fictions.

	Cependant, on constate cette prise en compte également par des auteurs
dont ce n’est pas la spécialité. Si on regarde les cultures populaires,
on constate que /Star Wars/ (attribuons intégralement la saga à Georges
LUCAS pour simplifier) a usé de langues terriennes existantes pour
construire des sabirs figurant les langues extra-terrestres. Plus tard,
dans /Stargate/ de Roland EMMERICH, une langue a été spécialement créée
pour figurer l’évolution qu’aurait suivi le proto-égyptien ancien dans
une population qui aurait été isolée sur une autre planète. Aujourd’hui,
de nombreuses œuvres de fiction cherchent à produire un contexte
linguistique cohérent. Ainsi, la série /Games of throne/ (d’après les
romans de Georges R. R. MARTIN) a été l’occasion de créé de toute pièce
la langue dothraki, tandis que le jeu /Far Cry Primal/ (Ubisoft) a créé
le wenja, qui est une préfiguration du proto-indo-européen, créé par des
professeurs de linguistique.

	C’est une évolution intéressante : peut-être maladroitement, toujours
est-il que la linguistique est désormais prise en compte, ce qui n’était
pas forcément le cas il n’y a pas si longtemps. Si on compare avec ce
qu’a fait Steven SPIELBERG, par exemple, on constate que chez lui soit
les extra-terrestres ne communiquent que de manière purement abstraite
par l’intermédiaire d’une gamme pentatonique dans /Close Encounters of
the Third Kind/, apprennent l’anglais presque par magie dans /E.T. the
Extra-Terrestrial/ ou bien ne présentent aucune autre forme de
communication que la destruction dans /War of the Worlds/. Ça montre
tout de même que, fusse de manière superficielle, la linguistique entre
dans la culture générale.

	Cela dit, je constate que vous n’avez pas relevé le fait que /Arrival/
viole plusieurs fois le principe de causalité, ce qui, entre autres
éléments fondamentaux, remet en cause l’existence des neutrinos,
pourtant parfaitement observés, autrement dit toute la physique de notre
univers. Comme quoi…

	À bientôt.

Savinien de Cyrano DE BERGERAC, 1657. /Histoire comique des États et
Empires de la Lune/, Henry Le Bret, Paris. Suivit par : Savinien de
Cyrano DE BERGERAC, 1662. /Histoire comique des États et Empires du
Soleil/, Charles DE SERCY, Paris. Republiés récemment : Madeleine
Alcover, 2004. /Les États et Empires de la Lune et du Soleil : édition
critique et commentée/, Honoré CHAMPION.

Nathalie GARRIC, 2001. /Introduction à la linguistique/, Hachette.

Ferdinand DE SAUSSURE, 1916. /Cours de linguistique générale/, réédité
pare exemple par Tullio DE MAURO chez Payot, collection « Grande
bibliothèque Payot », 1995.

-- 
Yoann LE BARS
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Diaspora* : ylebars@xxxxxxxxxxxxxxx