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Message : Re: Usages des "quotes"

(Olivier RANDIER) - Mercredi 26 Mars 1997
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Subject:    Re: Usages des "quotes"
Date:    Wed, 26 Mar 1997 02:11:29 +0100
From:    orandier@xxxxxxxxxxxxxxxxxxx (Olivier RANDIER)

>Alain Hurtig <alain.hurtig@xxxxxx> écrit ;
>
>>L'absence de guillemets « français » n'est justifiable que par
>>l'impérialisme culturel américain.
>
>Mon cher Alain,
>
>Je conçois que les guillements français soient le dogme typographique, mais
>je ne peux m'empêcher de penser que l'usage massif du quote et double-quote
>par nos contemporains utilisateurs d'ordinateurs fera inéluctablement que
>l'usage des guillemets disparaîtra, à tout le moins dans les documents les
>plus courants.

>Quant à l'impérialisme culturel américain, il est peut-être temps de le
>prendre pour excuse à chaque instant pour ce qui n'est parfois qu'une
>commodité. Il faut bien reconnaître que les quotes sont bien plus pratiques
>à taper (une seule touche) que les guillemets français, même si on leur
>attribuait des touches directes. Il en faudrait toujours deux, avec les
>possibilités de fautes de frappes.

Je crois qu'il faut tempérer notre propos en tenant compte de l'évolution
technologique. Actuellement, l'immense majorité des traitements de textes
sont capables de faire la substitution automatique des quotes, soit à la
saisie, soit à l'import pour les logiciels de PAO. L'aspect pratique des
quotes pour la saisie ne justifient donc plus guère leur présence dans les
textes finaux.

Les guillemets français posent un problème particulier, car ils ne sont
jamais correctement gérés, en raison des espaces insécables que leur usage
nécessite, lesquelles n'existent toujours pas dans l'encodage standard des
fontes. De plus, et c'est là qu'intervient l'impérialisme américain, même
dans les versions française des logiciels, il est rare que le remplacement
des quotes soit réglé par défaut sur les guillemets français, ce qui tend à
inciter l'utilisateur lambda à utiliser les guillemets anglais.

C'est une des choses que l'on pouvait espérer avec les fonctions
typographiques avancées de QuickDraw GX, et que l'on aura peut-être
finalement, si les rumeurs de collaboration d'Apple et d'Adobe sur Display
PostScript se confirment. Dans ce cas, il nous appartiendra de faire
pression sur Apple pour que cette gestion se fasse correctement. On peut
très bien imaginer qu'on aura, par exemple, une ressource « quotes », comme
on a une ressource « nombres », qui permettrait de gérer la « quotation »
en fonction de la langue du système, tout en conservant la simplicité des
quotes au clavier et la possibilité de les modifier a posteriori. Dans ce
cas, le problème ne se poserait plus guère, il me semble, et l'utilisateur
n'aurait plus de raison de composer incorrectement, sauf à le faire
sciemment.

Quant à l'histoire du dogme typographique, si je suis attaché aux
guillemets français, c'est plus par esthétisme que par conservatisme ou
chauvinisme. Les guillemets français s'accordent avec notre façon de
composer la ponctuation haute : de même que nous utilisons des fines avant
"!", "?", ";", et une espace insécable avant ":", de même nous utilisons
des guillemets français précédés et suivis d'espaces insécables. Cet usage,
outre qu'il est cohérent, facilite la lecture et permet un juste équilibre
du gris typographique.
L'usage relaché de la typographie anglo-saxonne, qui a certainement des
justifications historiques, pose, à mon sens, des problèmes quant à la
lisibilité.
Quand on écrit :
ATTENTION!
l'oeil doit séparer le mot de la ponctuation pour en saisir le sens, tandis
que, quand on écrit :
ATTENTION !, l'espace délimite le mot, qui peut être saisi d'un coup d'oeil.

Certes, les anglo-saxons s'y sont très bien adaptés, et cela ne semble pas
les gêner, mais, d'une part, nous n'y sommes pas habitués, et la
généralisation de cet usage nécessiterait pour nous une adaptation qui
pourrait être pénible, d'autre part, dans le livre et dans la majorité de
la presse, l'usage des guillemets français reste une règle absolue. On
aboutit donc à un usage incohérent et préjudiciable au lecteur : guillemets
anglais dans les documents informatiques, guillemets français dans le
reste.
Je vois beaucoup de DA ou de maquettistes qui utilisent les guillemets
anglais, soi-disant parce que c'est plus joli, en fait parce qu'ils ont
pris l'habitude de tout composer tellement serré (-10 d'approche, au
minimum...) que les guillemets français "jurent". Pourtant, je n'en ai
jamais entendu dire que les guillemets français les gênaient dans les
livres (encore que je ne soit pas sûr qu'il lisent...). Personnellement,
mon XPress est réglé sur les guillemets français, même si ça m'impose un
peu de travail supplémentaire, et je n'utilise les guillemets anglais que
sur requête. Si on me les réclame, je ronchonne un peu, mais j'obtempère.
Je pense avoir ainsi un peu contribué à rééduquer quelques DA...  En tout
cas, je préfère des guillemets anglais à des quotes ou, pire, à des
guillemets français composés sans espaces.

En fait, mon attitude générale vis-à-vis du client est la suivante : je
compose selon la règle, parce que c'est ma responsabilité et le conseil que
j'apporte au client. Si le client veut sortir de la norme, c'est sa
responsabilité, mais ce n'est pas à moi d'aller au devant de ces usages
incorrects. Ainsi, j'attire son attention sur l'usage correct, puisqu'il
doit signaler chaque fois qu'il s'en écarte, mais s'il persiste, je lui
fait ce qu'il demande. Je regrette juste de ne pouvoir faire ce qui se
faisait, paraît-il, autrefois, en photocomposition, où toute correction
"hors Code" était facturée en sus, ce qui devait être nettement plus
éducatif...

Enfin, et pour conclure ce message-fleuve, je dirais que l'acculturation au
modèle américain, dans ce domaine, relève d'une attitude dépassée et non
moderne, comme on voudrait le faire croire. Aujourd'hui on parle de plus en
plus de services de traduction automatique en ligne ; l'avenir, ce sont les
technologies qui assureront la communication interlinguistique en
permettant à l'utilisateur de conserver sa langue et ces usages locaux.
Vouloir tout rassembler autour du modèle américain, tant au niveau de la
langue que des usages, ça rappelle un peu la conception de l'informatique
avant Apple ;-)

Olivier Randier - Experluette