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Message : La cedille a bon dos...

(Jacques Melot) - Mardi 03 Juin 1997
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Subject:    La cedille a bon dos...
Date:    Tue, 3 Jun 1997 09:54:59 GMT
From:    Jacques Melot <melot@xxxxxx>

Le 30/05/97, à 13:36 -0000, j'ai écrit :

[...]
>   Cela me rappelle un article du journal Le Monde (« Le coût de la
>cédille. »), paru il y a une bonne dizaine d'années, dans lequel un
>professeur d'université parisien s'est ridiculisé en proposant de supprimer
>la cédille en français pour l'ultime raison que les ROM (ou les PRAM ?) des
>ordinateurs de l'époque, encore trop étriquées, ne pouvaient pas contenir
>tous les caractères utilisés pour l'écriture du français en plus des
>caractères et signes nécessaires -- ben voyons -- à l'anglais. Quelques
>mois plus tard, comme on le sait, cette limitation tombait.
>
[...]

   La référence (presque) exacte est (il me manque la pagination) :
Le coût de la cédille, par Frédéric Gaussen, Le monde, le 30 décembre 1985.

   (Le professeur dont je parle n'est pas l'auteur de l'article, mais est
cité dans l'article.)




Voici un extrait de l'article en question :

Le coût de la cédille

Le français résiste aux machines pour le traitement des langues.
Faudra-t-il, pour s'adapter, simplifier l'orthographe ou apporter aux
matériels en cours des modifications techniques extrêmement coûteuses ?

LA cédille et le tréma sont-ils ruineux pour l'économie et la langue
françaises ? La question mérite apparemment d'être posée, puisque
d'éminents linguistes et informaticiens ont réuni un colloque au Carrefour
international de la communication pour en discuter.

Le problème est le suivant. Les machines à traiter la langue (banques de
données, traitements de textes...) connaissent un développement
considérable. Étant généralement de fabrication américaine, elles ont été
conçues en fonction de la langue anglaise. Or la langue et l'orthographe
françaises sont beaucoup plus compliquées. Avec toutes ses fioritures
(accents, cédilles... ), le français utilise 25 % de signes typographiques
de plus que l'anglais, et avec ses cent vingt-huit touches le clavier
d'ordinateur ne parvient encore pas à les absorber tous. L'informatisation
du français demande donc des adaptations techniques extrêmement coûteuses
(1).

D'où la tentation pour les spécialistes français de préconiser un
allégement de l'orthographe, qui leur ferait gagner beaucoup de temps,
d'argent et de tranquillité. M. Maurice Gross, professeur de linguistique à
l'université Paris-VII, qui a pris la tête de cette campagne de
purification, suggère en particulier de se débarrasser du ù (qui n'est
utilisé que dans « où »... et dans la notation musicale « più forte » ); du
à (que l'on trouve dans une demi-douzaine de mots seulement); du ë
(pratiquement sans emploi); du ê (qui pourrait avantageusement se mêler au
è)... et évidemment du ç (qui pourrait être remplacé par ce, alignant ainsi
le traitement du c devant une voyelle sur celui du g). M. Gross cite
d'autres exemples de bizarreries qui pourraient être réduites: les
innombrables façons de rendre le son « o » (polo, pot, tôt, croc, trop,
saule, salaud, héraut, eau...); les consonnes doubles avec leurs
incohérences célèbres (chariot, charrette) ...
[...]

« Socialement impensable »

[...]

Et d'ailleurs cela vaut-il la peine de se donner tant de mal ? Les
constructeurs d'ordinateurs ont rappelé que les progrès techniques sont
tellement rapides que les problèmes d'aujourd'hui risquent de ne plus se
poser demain.
[Comme quoi le journaliste se montre plus ouvert et, disons le franchement,
plus intelligent que le professeur d'université. Note de J. M.]

[...]

Pour certains ? notamment Mme Nina Catach, spécialiste des recherches sur
l'orthographe au CNRS, ? la pression de la technologie sera la plus forte,
et la réforme devra l'emporter si on veut échapper à la paralysie provoquée
par l'avalanche d'informations (comme la Sécurité sociale et la
Bibliothèque nationale en donnent déjà des signes inquiétants).
L'informatisation de la société et de la vie quotidienne est en route,
qu'on le veuille ou non. La langue et la culture devront s'y adapter, comme
elles se sont adaptées à l'imprimerie entre le seizième et le dix-huitième
siècle. Dans la « galaxie computorienne » qui s'annonce, toute langue qui
ne sera pas facilement informatisée sera marginalisée. Mieux vaut préparer
l'évolution et ne pas laisser faire les informaticiens et le marché, si on
veut éviter que le français disparaisse comme langue de communication
internationale ou soit victime d'un véritable « carnage » linguistique.

C'est au nom de la sauvegarde de la langue que linguistes et informaticiens
préconisent ces quelques opérations de chirurgie esthétique...

FRÉDÉRIC GAUSSEN.

( 1 ) Voir l'article collectif publié dans 1e Monde du 29 août [1985] sous
la signature de Lothaire, intitulé « Orthographe et informatique ».



   Comme quoi, la linguistique est une chose trop sérieuse pour la laisser
à des spécialistes.
   Telle est ma conclusion, et je sais de quoi je parle !


Jacques Melot, Reykjavík
melot@xxxxxx