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Message : Structuration et methode de travail

(Alain Hurtig) - Lundi 24 Novembre 1997
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Subject:    Structuration et methode de travail
Date:    Mon, 24 Nov 1997 15:37:24 +0100
From:    Alain Hurtig <alain.hurtig@xxxxxxxxxxxxxx>

At 12:08 +0100 24/11/97, Thierry Bouche wrote:
>Vouloir ces deux fonctions
>(structure et présentation) dans un même programme est une erreur de
>jeunesse de la pao, non ?
>
>[...]
>
>[*] À ce propos, une longue expérience me prouve que les auteurs
>_adorent_ se préoccuper de typo, et ne se plient qu'à contre-coeur à
>un format « logique désincarné » come latex : l'essentiel du travail
>des secrétaires qui préparent les manuscrits que nous publions ici
>(maths) est de rendre standard des articles reçus pleins
>d'instructions typos explicites (nous utilisons une maquette et des
>fontes qui n'existent pas ailleurs qu'ici : la moindre instruction
>explicite repose donc sur des hypothèses fausses et casse tout)...
>Peut-être les biologistes sont-ils plus raisonnables ?
>
Pourquoi les biologistes ? En tout cas, en sciences humaines, on n'est pas
beaucoup plus sage, et même souvent très turbulent ;-). Et pourtant de TeX,
on ignore dans ces milieux-là jusqu'à l'existence !

Et qu'est qu'un « format désincarné » ? Je rencontre trop d'auteurs
incapables de se plier à la simple discipline des titres-sous-titres,
éventuellement sous-sous-titres, mais pas de division d'un rang inférieur
(on en a parlé ici même), précisions qui leurs sont pourtant amplement
données avant l'écriture de leur livre. J'en connais qui, après des années
d'exercice professionnel, ne savent toujours pas faire une bibliographie
dans les normes ou qui font semblant de ne pas entendre quand on leur dit :
pas plus de 150 pages, pas plus de 15 photos... J'en connais même qui
confondent l'usage du gras et de l'italique !

Et surtout, j'ai toujours vu les auteurs faire leur propre mise en pages.

Je crois avoir déjà raconté ici (mais je ne me lasse pas de cette histoire)
le cas de cette brave dame qui m'avait livré un livre sur disquette
entièrement composé sous Word. je n'avais pas le droit d'y modifier quoi
que ce soit ! Elle avait bricolé son empagement pour le faire ressembler à
celui de la collection, employé du Palatino (les livres étaient en Sabon,
ça se ressemble un peu), etc.
  Son problème particulier reposait sur ses notes de bas de pages, qui
devaient être très précisément placées, sans tourne (fin de note reportées
à la page suivante), avec certains vers (il s'agissait de l'édition savante
d'un poème ancien) laissés sous l'appel de note, etc. Seulement, au lieu de
me donner son « cahier des charges », auquel je me serais évidemment plié,
elle avait tout fait elle-même, mais sans rien m'expliquer !
  Naturellement, elle avait beaucoup travaillé pour parvenir à un résultat
satisfaisant dans _sa_ composition.
   Naturellement, j'ai beaucoup travaillé à mon tour, parce que XPress ne
calcule pas les interlignages comme Word, parce que le Sabon ne chasse pas
comme le Palatino, parce que les notes étaient composées en 9,5 pt, ce que
Word 5 ne sait pas faire, parce que Word 5 ignore les fines et les chasses
fractionnaires (et l'approche par paire), etc.
   Et naturellement, devant le résultat de mon travail, la dame s'est
avisée que je pouvais créer des demi-lignes de blanc entre certains
paragraphes, et m'a fait recommencer tout le travail : elle était
enthousiasmée par les outils dont je disposais et voulais vraiment tester
_chaque_ fonction typo (j'étais un peu moins enchanté qu'elle...)

Mon employeur actuel, lui, veut absolument _tout_ faire à l'écran, dans
XPress, pour profiter de la fameuse interactivité du Wisiwig. Autrement
dit, il écrit ou corrige les textes en fonction de la mise en pages, et
fait varier la mise en pages en fonction des textes. J'ai un mal de chien à
obtenir de lui des textes finis (pour les livres) ou semi-finis (pour les
pubs) et à les monter ensuite. de même que je ne parviens pas à lui faire
comprendre qu'il est difficile de créer une maquette pour une page de pub
sans disposer auparavant des éléments graphiques (photos, dessins) qu'il
souhaite voir dedans.

Il est persuadé que sa méthode est plus rapide et plus efficace que la
mienne. Il ne veut rien structurer, ni dans sa tête, ni dans son travail...
Alors, lui parler « niveau de sens », « harmonisation des chartes
graphiques », « lisibilité », « esthétique », etc., vous imaginez !

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J'ai toujours été persuadé (et je le suis de plus en plus devant la sorte
de catastrophe qu'est l'organisation du travail dans mon nouveau job) que
le texte doit se travailler (une fois qu'il est écrit) dans un traitement
de texte (correction ortho et typo, mise aux normes, structuration, etc.)
_avant_ d'être monté. C'est le travail du secrétaire de rédaction, lequel
peut être la même personne que le metteur en pages-compositeur, mais
n'exerce ici pas la même fonction...

Et ceci non seulement parce que les outils ne sont pas les mêmes, et qu'un
logiciel de composition n'est _pas_ équipé pour traiter rapidement et
efficacement le texte (voir les acrobaties auxquelles se livre PageMaker,
qui a un éditeur de texte séparé des fonctions de mises en pages pour
faciliter la saisie et la correction), mais aussi et surtout parce que la
préparation d'un texte ne relève pas de la même logique que sa composition.
On ne compose correctement qu'un texte définitif, propre, nickel, auquel on
n'aura plus à retoucher - sauf si on accepte de tout recomposer en
permanence, ce qui se faisait aux doux temps de la compo chaude et froide,
mais n'est plus de mise en ces temps de restriction budgétaire.

Le surinvestissement des auteurs dans la « typo » (la puissance des outils
dont ils disposent, aussi... qui leur donnent l'impression qu'ils peuvent
« tout faire », et s'affranchir de la tyrannie du « spécialiste ») rend à
mon sens cette séparation des fonctions encore plus nécessaire qu'avant...

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Pour autant, je n'imagine pas en train de négliger les indications fournies
par les auteurs concernant certains points délicats, et en particulier les
tableaux, ou le montage de certaines illustrations. Bien souvent, avec une
sorte de naïveté et d'évidence, ils suggèrent la bonne solution, à vrai
dire la seule possible et la plus simple en même temps (et à laquelle je
n'aurais pas forcément pensé tout de suite, esprit tourmenté que je
suis ;-)) : ils maîtrisent évidemment le sens qu'il faut donner à la
lecture de ce type d'éléments. Reste ensuite à adapter la solution proposée
à un empagement particulier, à éviter les erreurs typo, à donner des
possibilités de lecture dans les cas les plus complexes. Mais ça, c'est
notre boulot...

Alain Hurtig                                         mailto:alain.hurtig@xxxxxx
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Si vous pensez avoir enfin trouvé la solution, eh bien ! une bonne nuit
de sommeil et il n'y paraîtra plus.
    Brigitte Fontaine