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Message : Re: [typo] contribution et codage

(Jean-François Roberts) - Mercredi 12 Mai 2004
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Subject:    Re: [typo] contribution et codage
Date:    Wed, 12 May 2004 01:38:45 +0200
From:    Jean-François Roberts <jean-francois.roberts@xxxxxxxxxx>

Title: Re: [typo] contribution et codage
Soyons clairs : les idéogrammes chinois sont des *mots* ; vous pouvez classer toute liste de mots français, et retrouver tous les mots classés dans une liste (alphabétique, pour simplifier) - et vous savez instinctivement comment le faire. Il ne s'ensuit pas que vous "connaissez" (par c¦ur ou autrement) tous les mots de cette liste ! Mais si on vous dit que le _Petit Larousse_ compte         59 000 mots (noms communs) - peu ou prou - vous n'allez pas vous faire toute une histoire à l'idée d'y retrouver autant de mots qu'on vous demandera... et il serait étonnant que vous n'en connaissiez pas déjà la grande majorité.

Les Chinois ne procèdent pas autrement. La seule différence est que leurs idéogrammes (c'est-à-dire leurs mots) ne sont pas classés (évidemment) par ordre alphabétique (sauf si on est en pinyin, ou en zhuyin, alias bopomofo), mais par éléments graphiques (significatifs) : les fameuses "clés", qui servent à classer les grandes "listes" de référence. Leur liste (la liste des clés) a d'ailleurs varié : mais le principe est resté le même, et ne pose aucun problème à quiconque lit le chinois. (Pour mémoire : 540 clés pour les 10 516 caractères du _Shuô wén jié zi_ de Xu Shen, paru en 121 de notre ère ; 214 clés pour les 40 000 caractères du classique _Kâng Xî zì dian_ de  Zhang Yushu (commandé par l'empereur Kang Xi), en 1721 ; 227 clés pour les caractères [chinois "simplifié"] du moderne _Xînhuá zì dian_ [_Dictionnaire de la Chine nouvelle_] de 1976...) Pour tout cela, voir (par exemple) la petite introduction d'Edoardo Fazzioli, _Caractères chinois, Du dessin à l'idée, 214 clés pour comprendre la Chine_, Paris, Flammarion, 1987.

On sait que c'est toujours l'ordre du dictionnaire de Kang Xi qui sert à classer les caractères Unicode... Bien avant Unicode, Wang Zhen ne faisait pas autre chose (mutatis mutandis : il se servait du dictionnaire faisant autorité - puisque ces dictionnaires étaient toujours commandés par l'empereur - en son temps). En l'occurrence, il se servait du _Dictionnaire des rimes_. Pour comprendre de quoi il retourne, voir la présentation du _Peiwen yunfu_ (_Dictionnaire des rimes_) de Zhang Yushu (1704), contemporain du _Kâng Xî zì dian_, et comme ce dernier commandé par l'empereur Kang Xi (ère Qing). Il s'agit là d'un dictionnaire*phonétique*. Le premier dictionnaire de ce type connu est le _Qieyun_ (_Rimes coupées_ ) de  Lu Fayan, paru vers 600 (ère Tang) :

http://www.chinaknowledge.de/Literature/Diverse/shuowenjiezi.htm

http://ist-socrates.berkeley.edu/~olwest/CH142/peiwen.html

Pour un panorama réjouissant des diverses façons de classer les idéogrammes chinois (et des types de dictionnaires correspondants), voir le site de la Chinese American Medical Society :

http://www.camsociety.org/learnchinese/Chinese%20Lessons/ChineseScript%20%20ComputerFile.doc    (document MS Word)

http://66.102.11.104/search?q=cache:dn4FFojxPpIJ:www.camsociety.org/learnchinese/Chinese%2520Lessons/ChineseScript%2520%2520ComputerFile.doc+%22Peiwen+yunfu%22&hl=en&ie=UTF-8      (version HTML : cache Google)

Pour les "tables tournantes" de Wang Zhen, voir l'étude de F. Macouin ("La typographie en Extrême-orient jusqu'au XVe siècle") dans _Les Trois Révolutions du livre_, p. 67, colonne de droite, l. 6-14. J'ai déjà cité ce paragraphe in extenso, dans un message précédent. Je n'ai pas eu accès à d'autres référence. Sans doute faudrait-il se reporter aux études de T. F. Carter et de Tsien Tsuen-Hsiun, déjà citées. (On évitera de confondre notre typographe - agronome de profession, en fait - avec de nombreux homonymes, en particulier le commentateur de Lao Zi, pendant l'ère Tang [IXe siècle] ; ou le grand eunuque de l'ère Ming [XVe siècle], ou le général de la Longue Marche et ancien vice-président de Chine populaire ; ou l'artiste de la Belle Epoque...)

Pour une illustration (et de nombreux spécimens des premiers siècles de la typographie chinoise), voir le site du Chinese Graphic Arts Net (attention ! page d'accueil en chinois ;) :

http://www.cgan.com/english/english/cpg/engcp20.htm

(L'illustration de la casse de Wang Zhen n'est sûrement pas d'époque... et les tables tournantes figurant sur la gravure n'ont guère "sept pieds de diamètre".)

Pour d'autres spécimens de l'époque de Wang Zhen (y compris des pharmacopées, bien entendu), voir :

http://www.cgan.com/english/english/cpg/engcp17.htm

Pour un panorama d'ensemble (en anglais :) de l'histoire de l'imprimerie en Chine, voir :

http://www.cgan.com/english/english/cpg/indexen.htm


De : "Pierre Schweitzer" <pierre.schweitzer@xxxxxxxxxxx>
Répondre à : typographie@xxxxxxxxxxxxxxx
Date : Tue, 11 May 2004 20:20:23 +0200
À : <typographie@xxxxxxxxxxxxxxx>
Objet : Re: [typo] contribution et codage


À mon avis, un bon pharmacien doit savoir réciter dans l'ordre, à peu près, le début de sa première rangée de comprimés, idem pour les buvables, les injectables, les collyres, les suppos etc. presque aussi bien que son alphabet ;-)

Mais entre savoir comment les références sont classées et organiser matériellement leur rangement, il y a une marge à mon avis. Encore que le pharmacien est sacrément aidé par la couleur des petites boîtes quand il cherche quelquechose...

Je prends l'exemple du pharmacien parceque la "casse" de Wang Zhen devait comporter environ deux fois plus de références qu'on en trouve dans une pharmacie !

Tout cela pour dire que je serais vraiment très curieux d'en savoir un peu plus sur ces deux tambours rotatifs capables de contenir 30.000 caractères différents ainsi que sur les deux ou trois gravures que vous évoquez. Je n'ai rien trouvé dans "Les 3 révolutions du livre", avez-vous des références plus précises ?

Pierre Schweitzer

_ _ _


jean-francois.roberts@xxxxxxxxxx écrivait :

(...)

La question du nombre de caractères me semble une parfaite fausse piste :
Wang Zhen avait déjà résolu la question à la fin du XIIIe siècle, l'ouvrier
se tenant non pas *dans* la casse (se méfier des 2 ou 3 gravures qui sont
reprises d'une publication à l'autre !) mais bien *entre* les deux éléments
(tambours rotatifs) qui portaient ses 30 000 caractères (et l'un de ses
collègues de la même époque en disposait de 100 000 !). La récupération de
la forme gutenbergienne par les Chinois ne changea bien sûr rien au
"problème" (ou plutôt : au faux problème) du nombre de caractères. Mais ils
purent passer à l'imprimerie industrielle, maintenant qu'il ne fallait plus
recaler les caractères tous les 20 exemplaires...

En quoi le nombre de caractères chinois serait-il un faux problème ? Tout
simplement parce que, pour un illettré européen, connaître les quelques
centaines de caractères dont disposent les imprimeurs autochtones paraît
faramineux. Pas pour un typo, ou tout autre habitué de ces techniques. De
même, tout Chinois sachant lire connaît (au minimum) dans les 30 000
idéogrammes. Les classer (et les retrouver, une fois classés) n'est pas plus
compliqué pour lui que de réciter l'alphabet pour un Européen.

(...)