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Message : Re: [typo] cochin et clarendon (Olivier Randier) - Vendredi 09 Juillet 2004 |
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Subject: | Re: [typo] cochin et clarendon |
Date: | Fri, 9 Jul 2004 23:48:12 +0200 |
From: | Olivier Randier <olivier.randier@xxxxxxx> |
J'ai dit que ce terme était polémique. Pour s'en convaincre, il suffira de lire attentivement ce que dit Martin Bormann dans la circulaire (à usage interne : "non destiné à la publication") ou il balaye la tradition typo Fraktur. (C'était en effet une circulaire, et non un décret. Mais, venant du chef d'état-major [Stabsleiter] du lieutenant du Guide [Stellvertreter des Führers] Rudolf Hess, ça avait valeur immédiate et sans refus d'obtempérer envisageable. D'autant que la décision était expressément présentée comme venant du Guide en personne. En tout cas, les spécialistes allemands de la question évoquent généralement ce texte comme le "décret sur l'écriture [ou "décret sur la typo" : Schrifterlaß]".) Que disait Bormann, donc, en ce 3 janvier 1941 ? "Considérer l'écriture dite gothique [ou : "les caractères dits gothiques" : Die sogenannte gotische Schrift] comme une écriture allemande [ou : "comme des caractères allemands"] est erroné. En réalité, l'écriture dite gothique consiste en lettres juives Schwabacher [besteht aus Schwabacher Judenlettern]. De même que, par la suite, ils se sont mis en possession des journaux, les Juifs établis en Allemagne, lors de l'introduction de l'imprimerie [bei Einführung des Buchdrucks], ont pris possession des imprimeries et c'est ainsi que survint en Allemagne la forte influence des lettres juives Schwabacher. [...] "Par délégation du Guide, M. le chef d'Empire Amann transposera en premier lieu tout journal ou périodique ayant déjà une diffusion à l'étranger, ou dont on souhaite une diffusion à l'étranger, en caractères standards." Signé : M. Bormann
Merci beaucoup pour cette traduction.
On constate plusieurs choses, à la lecture de ce texte. D'abord, dès qu'il s'agit de condamner la typo Fraktur, le mot "Fraktur" n'apparaît plus : c'est le "gothique" qui est désigné. Et, pour la justification idéologique, c'est le Schwabacher qui est affublé de la qualification de "lettres juives". Or, ce terme "gothique" ("gotisch") faisait l'objet d'enjeux importants au sein de la nébuleuse nazie. Il serait intéressant de voir ça de plus près... Ensuite, on constate également un intérêt pour la diffusion à l'étranger, en effet. Mais ça n'est absolument pas présenté comme un motif premier.
Non, mais c'est quand même ce qui est souhaité « en premier lieu ».
Mais Hitler, il est vrai, s'était déjà exprimé en ce sens en 1934, au congrès du Parti (Reichsparteitag) :"Eure vermeintliche gotische Verinnerlichung paßt schlecht in das Zeitalter von Stahl und Eisen, Glas und Beton, von Frauenschönheit und Männerkraft, von hochgehobenem Haupt und trotzigem Sinn ... Unsere Sprache wird in hundert Jahren die europäische Sprache sein. Die Länder des Ostens, des Nordens wie des Westens werden, um sich mit uns verständigen zu können, unsere Sprache lernen. Die Voraussetzung dafür: An die Stelle der gotisch genannten Schrift tritt die Schrift, welche wir bisher die lateinische nannten ..." (Reproduit dans le _Völkischer Beobachter_, n° 250, 7 septembre 1934.) "Votre prétendue intériorité gothique convient mal à l'ère de l'acier et du fer, du verre et du béton, de beauté féminine et de force masculine, de la tête tenue bien haute et de l'esprit de défi... Notre langue sera dans cent ans la langue européenne. Les pays de l'Est, du Nord comme de l'Ouest, pour s'entendre avec nous, apprendront notre langue. La condition pour cela : Au lieu et place de l'écriture dite gothique viendra l'écriture que nous qualifiions jusqu'à présent de latine..."
Il y a donc bien là une intention vers les peuples non germanophones. La référence à « l'ère de l'acier et du fer, du verre et du béton » est en tout cas intéressante par rapport aux linéales qui incarne effectivement bien cette esthétique industrielle.
On l'a compris : dans la nébuleuse nazie, Hitler représentait l'élément moderniste, industrialiste et national-capitaliste (technocratique, si on veut : cf. A. Speer) - mais sachant admirablement se servir des aspirations national-populistes ("Völkisch") et national-socialistes (cf. les SA...), non moins que du courant des anciens combattants (les anciens corps francs de l'après-guerre et le Stahlhelm : "Casque d'acier") et des mystiques du gothisme, de l'indo-européisme et de l'ancienne Germanie (la Swastika ou croix gammée, les runes et les SS...).
Voyons si je vous comprends bien : parmi les partisans de Hitler, il y avait donc un courant traditionnaliste, conservateur et pangermaniste et un courant moderniste, révolutionnaire et expansionniste (je simplifie, j'imagine). En prenant parti contre la « gotish », Hitler affirme ses ambitions expansionnistes au delà d'un strict pangermanisme, c'est ça ?
> Je ne pensais pas à une justification économique ni, évidemment, à un > souci de ménager qui que ce soit. D'après ce que j'avais compris, lesAllemands avaient d'abord tenté d'imposer leur écriture un peu partout, mais s'étant finalement rendu compte que les peuples conquis ne comprenaient pas les affiches de propagande et décrets en Fraktur, avaient décidé d'opter pour l'Antiqua, justifiant leur décision par l'« enjuivement » de la Fraktur. Il s'agirait donc effectivement> d'une justification a posteriori d'une décision purement idéologique. Oui et non... A moduler : voir les références données ci-dessus.
>> En tout état de cause, vous l'avouez vous-même, même en Antiqua,vous n'en comprenez pas mieux l'allemand qu'en Fraktur. Vous voyez la fragilité de l'argumentation ! D'autant que, ainsi que je l'ai rappelé, la typo allemande, même entradition Fraktur, a *toujours usé exclusivement de la typo Antiqua pour leslangues étrangères*, qui ne devaient jamais être saisies en "lettres allemandes" !Êtes-vous certain de cela pour l'époque considérée ? Et pour la> propagande à l'étranger ? Oui : il est constant, dans toute l'histoire de la typo Fraktur dans le domaine germanique, que seule l'Antiqua pouvait servir pour les mots étrangers (non germanisés, bien sûr), là ou nous userions de l'ital. pour les mots non francisés.
Même pour des textes entièrement en langue étrangère ?Si la Fraktur n'était pas utilisée à l'étranger, d'où vient alors qu'elle s'identifie (à tort) dans l'inconscient collectif à la typographie de l'occupant ? Il a bien fallu pour cela qu'elle ait une certaine visibilité.
>> D'où la vanité de croire que ça serait "pour mieux se faire comprendre àl'étranger" que Bormann aurait décrété que la typo *de l'allemand* devait passer à l'Antiqua.Je suis d'accord sur la raison idéologique, mais, si ce n'est pas> pour mieux imposer ses décisions à l'étranger, pourquoi ? Voir la position de Hitler, ci-dessus...
Ben, justement...Par ailleurs, n'y avait-il pas, parmi les proches voisins, des peuples qui étaient familiarisés avec la langue allemande, sans l'être forcément avec la Fraktur ?
-- Olivier Randier
- Re: [typo] cochin et clarendon, (continued)
- Re: [typo] cochin et clarendon, Olivier Randier (03/07/2004)
- Re: [typo] cochin et clarendon, Jef Tombeur (02/07/2004)
- Re: [typo] cochin et clarendon, Jean-François Roberts (03/07/2004)
- Re: [typo] cochin et clarendon, Olivier Randier <=
- Re: [typo] cochin et clarendon, Jef Tombeur (10/07/2004)
- Re: [typo] cochin et clarendon, Jean-François Roberts (10/07/2004)
- Re: [typo] cochin et clarendon, Jean-François Roberts (10/07/2004)
- Re: [typo] Schwabacher (était cochin et clarendon), Jef Tombeur (10/07/2004)
- Re: [typo] Schwabacher (était cochin et clarendon), Jean-François Roberts (10/07/2004)
- Re: [typo] Schwabacher (était cochin et clarendon), Jean-François Roberts (11/07/2004)
- Re: [typo] Schwabacher (était cochin et clarendon), Jean-François Roberts (11/07/2004)