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Message : Re: [typo] cochin et clarendon (Jean-François Roberts) - Samedi 10 Juillet 2004 |
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Subject: | Re: [typo] cochin et clarendon |
Date: | Sat, 10 Jul 2004 04:18:02 +0200 |
From: | Jean-François Roberts <jean-francois.roberts@xxxxxxxxxx> |
> De : Olivier Randier <olivier.randier@xxxxxxx> > Répondre à : typographie@xxxxxxxxxxxxxxx > Date : Fri, 9 Jul 2004 23:48:12 +0200 > À : typographie@xxxxxxxxxxxxxxx > Objet : Re: [typo] cochin et clarendon > > (...) > >> Mais Hitler, il est vrai, s'était déjà exprimé en ce sens en 1934, >> au congrès du Parti (Reichsparteitag) : >> >> "Eure vermeintliche gotische Verinnerlichung paßt schlecht in das Zeitalter >> von Stahl und Eisen, Glas und Beton, von Frauenschönheit und Männerkraft, >> von hochgehobenem Haupt und trotzigem Sinn ... Unsere Sprache wird in >> hundert Jahren die europäische Sprache sein. Die Länder des Ostens, des >> Nordens wie des Westens werden, um sich mit uns verständigen zu können, >> unsere Sprache lernen. Die Voraussetzung dafür: An die Stelle der gotisch >> genannten Schrift tritt die Schrift, welche wir bisher die lateinische >> nannten ..." (Reproduit dans le _Völkischer Beobachter_, n° 250, 7 septembre >> 1934.) >> >> "Votre prétendue intériorité gothique convient mal à l'ère de l'acier et du >> fer, du verre et du béton, de beauté féminine et de force masculine, de la >> tête tenue bien haute et de l'esprit de défi... Notre langue sera dans cent >> ans la langue européenne. Les pays de l'Est, du Nord comme de l'Ouest, pour >> s'entendre avec nous, apprendront notre langue. La condition pour cela : Au >> lieu et place de l'écriture dite gothique viendra l'écriture que nous >> qualifiions jusqu'à présent de latine..." > > Il y a donc bien là une intention vers les peuples non germanophones. > La référence à « l'ère de l'acier et du fer, du verre et du béton » > est en tout cas intéressante par rapport aux linéales qui incarne > effectivement bien cette esthétique industrielle. > Eh non, justement : ces peuples non germanophones devront devenir, dans le projet hitlérien, germanophones - d'où l'intérêt, dans ce discours (où il faudrait faire le départ de la rhétorique et de ce que Hitler pensait ou voulait vraiment à ce propos), de "moderniser" la graphie de la typo allemande, pour faciliter l'apprentissage, en supprimant un obstacle suplémentaire. >> On l'a compris : dans la nébuleuse nazie, Hitler représentait l'élément >> moderniste, industrialiste et national-capitaliste (technocratique, si on >> veut : cf. A. Speer) - mais sachant admirablement se servir des aspirations >> national-populistes ("Völkisch") et national-socialistes (cf. les SA...), >> non moins que du courant des anciens combattants (les anciens corps francs >> de l'après-guerre et le Stahlhelm : "Casque d'acier") et des mystiques du >> gothisme, de l'indo-européisme et de l'ancienne Germanie (la Swastika ou >> croix gammée, les runes et les SS...). > > Voyons si je vous comprends bien : parmi les partisans de Hitler, il > y avait donc un courant traditionnaliste, conservateur et > pangermaniste et un courant moderniste, révolutionnaire et > expansionniste (je simplifie, j'imagine). En prenant parti contre la > « gotish », Hitler affirme ses ambitions expansionnistes au delà d'un > strict pangermanisme, c'est ça ? > Oui et non. Vous simplifiez en effet, et je vous mets en garde quant aux contre-sens qui affleurent dans votre résumé. Mais enfin, en première approximation, ça permet d'avancer, disons. Pour préciser : il n'y avait pas *un* courant conservateur, ni *un* courant moderniste, et les alliances étaient souvent pour le moins curieuses, pour un observateur néophyte de la chose ! Ainsi, le _Völkischer Beobachter_, revendiquant l'étiquette "Völkisch" ("populiste"), qui serait donc patriotarde-traditionnaliste-pangermaniste (je simplifie à mon tour !), mais qui fut fondé initialement, en 1918 comme organe de la Thule-Gesellschaft (société Thulé), groupuscule dont l'objet officiel était l'"étude de l'antiquité allemande" - sous le titre de _Münchener Beobachter_ (_La Vigie munichoise_), prenant le titre de _Völkischer Beobachter_ en 1919. Ladite société de Thulé était issue de l'Ordre germanique (Germanenorden), organisée selon le modèle maçonnique, et la ligue antisémite qui lui était liée : le Reichshammerbund (ligue du Marteau de l'Empire - le marteau d'Odin/Wotan, bien sûr), en liaison avec la Confédération pangermaniste (Alldeutschen Verband). En étaient membres Rudolf Hess, Alfred Rosenberg, Dietrich Eckart... Elle contribua à la fondation du Parti allemand du travail (DAP : Deutsche Arbeiterpartei), qui devint à son tour le NSDAP en 1920... Mais l'histoire du NSDAP prendra un autre tournant, décisif, après sa "refondation" en 1925. Sur la complexité du mouvement nazi, fédérant en fait des composantes fort disparates (d'où la fameuse "nuit des longs couteaux", en 1934...), la littérature est abondante, mais surtout en allemand (bien sûr) et en anglais. Le site du Musée d'histoire allemande, déjà indiqué, est précieux, à cet égard - mais en allemand. On usera avec précaution, en français, de l'ouvrage de Jean-Pierre Faye, _Langages totalitaires_, et du même _Théorie du récit. Introduction aux langages totalitaires. Critique de la raison/l'économie narrative_ (1972). Il est précieux pour l'aperçu qu'il donne, au lecteur francophone, de la myriade de courants croisés et antagonistes (y compris un "parti national-bolchévique" !) qui servit de contexte à l'éclosion du pouvoir nazi. Il distingue ainsi entre autres - à bon droit - le pôle "völkisch" et le pôle "national". Son analyse tente de rapporter les discours de l'époque à un axe "völkisch"-"bündisch" (fédéré), et à une antithèse (dialectique !) Etat totalitaire-Révolution conservatrice. Enfin, à vous de découvrir tout ça, si ça vous intrigue (l'_Introduction_ est toujours disponible). Hitler défendait en effet une vision expansionniste et - surtout - moderniste et technocratique. >>> Je ne pensais pas à une justification économique ni, évidemment, à un >>> souci de ménager qui que ce soit. D'après ce que j'avais compris, les >>> Allemands avaient d'abord tenté d'imposer leur écriture un peu >>> partout, mais s'étant finalement rendu compte que les peuples conquis >>> ne comprenaient pas les affiches de propagande et décrets en Fraktur, >>> avaient décidé d'opter pour l'Antiqua, justifiant leur décision par >>> l'« enjuivement » de la Fraktur. Il s'agirait donc effectivement >>> d'une justification a posteriori d'une décision purement idéologique. >> >> Oui et non... A moduler : voir les références données ci-dessus. > > > >>>> En tout état de cause, vous l'avouez vous-même, même en Antiqua, >>>> vous n'en comprenez pas mieux l'allemand qu'en Fraktur. Vous voyez >>>> la fragilité de l'argumentation ! >>>> D'autant que, ainsi que je l'ai rappelé, la typo allemande, même en >>>> tradition Fraktur, a *toujours usé exclusivement de la typo >>>> Antiqua pour les >>>> langues étrangères*, qui ne devaient jamais être saisies en "lettres >>>> allemandes" ! >>> >>> Êtes-vous certain de cela pour l'époque considérée ? Et pour la >>> propagande à l'étranger ? >> >> Oui : il est constant, dans toute l'histoire de la typo Fraktur dans le >> domaine germanique, que seule l'Antiqua pouvait servir pour les mots >> étrangers (non germanisés, bien sûr), là ou nous userions de l'ital. pour >> les mots non francisés. > > Même pour des textes entièrement en langue étrangère ? > Si la Fraktur n'était pas utilisée à l'étranger, d'où vient alors > qu'elle s'identifie (à tort) dans l'inconscient collectif à la > typographie de l'occupant ? Il a bien fallu pour cela qu'elle ait une > certaine visibilité. > Oui : absolument, même. Et a fortiori pour des textes entièrement en langue étrangère (latin, par exemple). Il ne servait à rien d'imprimer un texte en français, fût-il destiné à un lectorat allemand (manuel scolaire, par exemple), si on n'apprenait pas à lire la typo française en même temps - de même que l'on n'imprimera pas un ouvrage russe autrement qu'en caractères cyrilliques ! Inversement, quand j'ai appris l'allemand au lycée, à Paris, dans les années 1950 (ça ne nous rajeunit pas ;), il allait de soi qu'il fallait apprendre à lire le Fraktur, même si le gros des manuels restait en Antiqua. Mais j'ai encore deux ou trois livres d'école de l'époque intégralement en Fraktur (stricto sensu) et/ou en Schwabacher. Quant à savoir pourquoi la typo Fraktur s'identifie à la "typographie de l'occupant", il suffira de voir une reproduction de ces "avis à la poulation" (en allemand : Bekanntmachung) placardés par les autorités militaires d'occupation (sur fond rouge, indiquant la loi martiale). La partie allemande (même avant 1941) était apparemment, pendant la Seconde Guerre mondiale, en Antiqua. En revanche (mais je ne retrouve pas de lien), elle était toujours en Fraktur en 1914-1918 ; la partie française (ou toute autre langue locale) qui lui fait face est toujours en Antiqua. A part ça, jusqu'en 1914, rappelons que l'Allemagne et la culture allemande occupait une place de choix, pour ne pas dire dominante, dans le paysage intellectuel européen, y compris en France. Les livres allemands circulaient donc, en allemand, y compris nombre d'ouvrages en Fraktur, bien entendu. >>>> D'où la vanité de croire que ça serait "pour mieux se faire comprendre à >>>> l'étranger" que Bormann aurait décrété que la typo *de l'allemand* devait >>>> passer à l'Antiqua. >>> >>> Je suis d'accord sur la raison idéologique, mais, si ce n'est pas >>> pour mieux imposer ses décisions à l'étranger, pourquoi ? >> >> Voir la position de Hitler, ci-dessus... > > Ben, justement... > Par ailleurs, n'y avait-il pas, parmi les proches voisins, des > peuples qui étaient familiarisés avec la langue allemande, sans > l'être forcément avec la Fraktur ? La réponse est simple : non. C'était plutôt, à l'inverse, lesdits peuples "proches voisins" qui adoptèrent, dans un premier temps, le Fraktur pour leurs propres langues... Ainsi du tchèque, du hongrois, du danois, du letton, du slovène... > -- > Olivier Randier
- Re: [typo] cochin et clarendon, (continued)
- Re: [typo] cochin et clarendon, Olivier Randier (09/07/2004)
- Re: [typo] cochin et clarendon, Jef Tombeur (10/07/2004)
- Re: [typo] cochin et clarendon, Jean-François Roberts (10/07/2004)
- Re: [typo] cochin et clarendon, Jean-François Roberts <=
- Re: [typo] Schwabacher (était cochin et clarendon), Jef Tombeur (10/07/2004)
- Re: [typo] Schwabacher (était cochin et clarendon), Jean-François Roberts (10/07/2004)
- Re: [typo] Schwabacher (était cochin et clarendon), Jean-François Roberts (11/07/2004)
- Re: [typo] Schwabacher (était cochin et clarendon), Jean-François Roberts (11/07/2004)
- Re: [typo] Schwabacher (était cochin etclarendon), Jef Tombeur (11/07/2004)
- Re: [typo] Schwabacher (était cochin etclarendon), Jean-François Roberts (12/07/2004)
- Re: [typo] Schwabacher (était cochinetclarendon), Jef Tombeur (12/07/2004)