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Message : Re: [typo] cochin et clarendon

(Jean-François Roberts) - Samedi 10 Juillet 2004
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Subject:    Re: [typo] cochin et clarendon
Date:    Sat, 10 Jul 2004 01:57:40 +0200
From:    Jean-François Roberts <jean-francois.roberts@xxxxxxxxxx>

Plus exactement, "Schwabacher" signifie "de Schwabach" - Schwabach étant le
nom du "bled", en effet, célèbre pendant des siècles pour ses imprimeurs,
fondeurs surtout.

Voir le site de la municipalité (socialiste) :

http://www.schwabach.de/

Pour l'histoire du Schwabacher, voir le site de la section SPD de Schwabach,
fort complet (y compris un exemplaire du "Schrifterlaß" signé Bormann, un
guide de composition Fraktur [Fraktursatz] et... une police !) :

http://www.spd-schwabach.de/content/service/schrift/

Gutemberg imprimait encore en textura - c'est-à-dire en Gotisch (stricto
sensu). Le Schwabacher (bastarda à l'allemande) apparut d'abord dans un
incunable de 1472, imprimé à Augsbourg par Johannes Bämler. Ce caractère
atteint sa forme canonique au début des années 1490 : entre autres, en 1493,
avec la _Chronique du monde_ de Hartmann Schedel ("Schedelschen
Weltchronik"), imprimée à Nuremberg par Anton Koberger, puis avec
l'_Apocalypse_ illustrée par Dürer (1498).

Sur l'ouvrage de Schedel, voir l'étude sur le site de l'université de
Munich:

http://www.iasl.uni-muenchen.de/rezensio/liste/wagner.html

Le terme "Schwabacher" apparaît, sous la plume d'un maître calligraphe de
Nuremberg, Wolfgang Fugger, en... 1553 - soit près d'un siècle après son
apparition, et alors que le Schwabacher était déjà supplanté, comme
caractère dominant en typo allemande, par le Fraktur, depuis une vingtaine
d'années ! On peut penser qu'il désignait ainsi des caractères provenant de
fondeurs de Schwabach, mais en fait utilisés par les grands centres
d'imprimerie alentour : Nuremberg, Augsbourg, Ulm. Le terme perd vite tout
sens réel, dès la deuxième moitié du XVIe siècle, si ce n'est comme vague
synonyme de Fraktur. Il ne sera repris avec son sens spécifique qu'au XIXe
siècle, avec la création, en 1835, de la police Alte Schwabacher ("Vieux
Schwabacher") par la fonderie Genzsch und Heyse, reprenant la forme
"canonique" du caractère (il en existe des formes numérisées, y compris chez
Adobe), puis le Neue Schwabacher ("Nouveau Schwabacher") dû aux mêmes, en
1876. On signalera encore la création, par la grande fonderie Klingspor, du
classique Offenbacher Schwabacher ("Schwabacher d'Offenbach), en 1900.

Pour l'histoire des juifs à Schwabach, retour au site communal :

http://www.schwabach.de/touris/sehenswert/jued/00259.html

La communauté juive, implantée dès le Moyen Age, souffrit, comme tant
d'autres en Allemagne, des persécutions et autres interdictions (et était
donc inexistante lors des débuts de l'imprimerie). On note sa réapparition
dès le milieu du XVIIe siècle (bien après l'invention du Schwabacher !),
avec la construction d'une nouvelle synagogue. Dans le cours du XIXe siècle,
cette poulation déclina : de 3,6 % en 1833, la proportion de juifs à
Schwabach passa à 1,12 % en 1900, et 0,39 % en 1925. De ce fait, la
circonscription du rabbinat de Schwabach fut abolie dès 1932, la synagogue
elle-même étant vendue en 1938 - à quelle date le régime nazi avait vidé
Schwabach de ses derniers juifs, volontairement ou non. Seuls quelques-uns
revinrent après la guerre. En 1947, on comptait jusqu'à 221 juifs à
Schawabach. Mais, après 1948, l'attirance du nouvel Etat d'Israël se fit
sentir. Depuis 1949, il n'y a plus de juifs à Schwabach. La synagogue a
survécu, et a même été rénovée - mais elle sert pour des séminaires pour le
lycée d'Etat.

Pour ce qui est de la diffusion du Fraktur - manuscrit ou imprimé - il a
servi, dans toutes ses variations, dans l'ensemble de la sphère germanique
au sens large (Scandinavie incluse), en mordant sur la Tchéquie (voir toute
carte d'Europe...), la Hongrie, la Slovénie (même commentaire) et les pays
Baltes (idem) - et donc pour toutes les langues correspondantes.

Pour ce qui est de l'Alsace-Lorraine, il faudrait vérifier. Mais, comme ça
devait être une vitrine pour l'Empire (IIe du nom !), on peut croire, a
priori, que le Fraktur y fut à l'honneur, pendant toute la période allemande
(soit une cinquantaine d'années, quand même, sans compter le petit rab du
début des années 1940).



> De : "Jef Tombeur" <jtombeur@xxxxxxx>
> Répondre à : typographie@xxxxxxxxxxxxxxx
> Date : Sat, 10 Jul 2004 00:32:22 +0200
> À : <typographie@xxxxxxxxxxxxxxx>
> Objet : Re: [typo] cochin et clarendon
> 
> From: "Olivier Randier" <olivier.randier@xxxxxxx>
> To: <typographie@xxxxxxxxxxxxxxx>
>> Par ailleurs, n'y avait-il pas, parmi les proches voisins, des
>> peuples qui étaient familiarisés avec la langue allemande, sans
>> l'être forcément avec la Fraktur ?
>> -- 
> Pour les nouvelles et nouveaux de la liste, il est peut-être utile de
> remémorer que schwabacher n'est pas à placer sur le même niveau
> qu'askénazé ou sérafadé (tiens, cela me remémore des graphies tératoïdes,
> ça, sur les variantes des dictionnaires). C'est le nom d'un bled.
> Un peu plus judéisé (terme neutre, arithmétique, dirai-je)
> démographiquement que d'autres, mais bon, aussi un peu moins qu'encore
> d'autres, j'imagine.
> 
> En Alsace-Moselle, sous domination ou pas, au Luxembourg, en Tchéquie,
> voire Ukraine, etc., on devait certainement avoir des gens moins
> familiarisés avec la Fraktur. M'enfin, pas de beaucoup. Car il me semble
> que les exemples graphiques manuscrits dominants étaient quand même plus
> proches de la Fraktur que de l'Univers (léger anachronisme) ou de je ne
> sais quel vieux slavon d'église.
> Sauf, peut-être, en France, ce qu'il conviendrait de vérifier sur des
> cahiers d'écoliers ou des régistres d'État civil, etc.
> 
> Mais la vraie raison du décret, c'est bien connu, était tac-tac-tac-tique
> du (feld)gendarme.
> L'Allemagne, aux prises avec la Résistance française, adopta ses
> tactiques.
> Et inversa elle aussi des panneaux directionnels pour tromper l'ennemi.
> Mais, au départ, les Boches (tiens, encore une qu'ils n'auront pas)
> faisaient de faux panneaux en Fraktur. Et ce pour écrire tous les noms de
> lieux, fictifs ou réels. L'ennemi, qui infiltrait ses commandos, se
> méfiait.
> Kolossale guénialeu idéeu, bannir la schwabacher !
> Et les commandos furent refaient, le berneur, berné, etc.
> 
> Bon, l'autre soir, dîner avec une codiscipline britannique.
> Tellement exposée à Bordeaux à des conversations xénophobes
> (anti-anglaises) qu'elle a finit par le faire remarquer sèchement.
> Il va mieux de dire ici que Boche et Kolossale sont employés sans esprit
> ou volonté xénophobe.
> [_Well, you don't want me to write it in white, do you?_ (ou _white_ veut
> dire _english_, en tout cas, au Québec, ex. _speak white, please!_)].
> Sans mysoginie aucune, j'écris aussi que ces frilosités me viennent de la
> fréquentation de la liste des études féministes, et aussi de l'air du
> temps (procédural).
> 
> Ce qui m'étonne, c'est que Bormann ne soit pas allé jusqu'à traiter la
> schwabacher d'efféminée.
> 
> Au fait, saviez-vous que le premier livre en hébreu imprimé à Vienne ne le
> fut pas par un Juif ?
> Et vous vous doutez bien sûr du pourquoi... Bien avant la naissance de
> Bormann, il était estimé que l'imprimerie était une chose trop subversive
> pour en laisser l'usage à des Juifs. Ou, du moins, c'est mon hypothèse, à
> valider ou infirmer.
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