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Message : Re: Usages des "quotes"

(Alain Hurtig) - Mardi 25 Mars 1997
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Subject:    Re: Usages des "quotes"
Date:    Tue, 25 Mar 1997 07:22:10 +0100
From:    Alain Hurtig <alain.hurtig@xxxxxx>

At 23:15 -0800 23/03/97, Michel Bujardet wrote:
>Alain Hurtig <alain.hurtig@xxxxxx> écrit ;
>
>Je conçois que les guillements français soient le dogme typographique, mais
>je ne peux m'empêcher de penser que l'usage massif du quote et double-quote
>par nos contemporains utilisateurs d'ordinateurs fera inéluctablement que
>l'usage des guillemets disparaîtra, à tout le moins dans les documents les
>plus courants.
>
Je constate, heureusement, l'inverse, dans des documents aussi « courants »
que les livres et les journeaux, c'est-à-dire l'écrasante majorité de
l'écrit imprimé... (y compris, bien entendu, dans les écrits anglo-saxons,
où l'usage de l'apostrophe reste la règle, et l'usage du "quote" l'horrible
exception), et de plus en plus dans les simples rapports. Sur le Web,
l'usage se répand. Il n'y a encore que les publicitaires pour ne pas
s'apercevoir qu'ils font « mal » à la langue en oubliant l'existence de
l'apostrophe et des guillemets (on voit maintenant des guillemets anglais,
laids, sur les affiches, mais les DA doivent croire que ça fait chic !), et
parfois les secrétaires pour ne pas savoir accéder à ces signes
typographiques de base.

On voit d'ailleurs d'autres horreurs qui proviennent de la machine à
écrire : le trait d'union employé comme signe "moins" et comme tiret
d'incise, le * comme multiplicatif, le ° (degré) comme signe "numéro",
l'« oubli » des e dans l'o et des a dans l'e, l'aabndon (heureusement de
moins en moins fréquent) des capitales accentuées dans la composition, etc.

>En résumé, j'ai l'impression que, surtout ici, nous ne pouvons nous
>contenter d'être les gardiens de l'ordre ancien. Il est probablement temps
>de prendre en compte les évolutions qui ne dépendent pas forcément de nous,
>mais de l'usage qu'un nombre croissant d'utilisateurs fait de la chose
>écrite.
>
Ce qui était, mon cher Michel, un des arguments qu'avançait IBM pour
l'abandon des accents ;-) Heureusement que la résistance a bien
fonctionné ! Je conçois plutôt un lieu comme celui-ci, non pas comme un zoo
de contempteurs de la modernité (y en a-t-il parmi nous ?) mais bel et bien
comme un endroit d'échange _et_ de résistance à ce qu'on voudrait nous
imposer...

Ou plutôt à ce qui s'impose « tout seul », par flemme, par ignorance, par
suffisance. Et je ne crois pas qu'il s'agisse là d'être des « gardiens du
temple ».

C'est seulement que l'usage typographique s'est construit lentement, à coup
d'avancées et de reculs. Il forge des habitudes de lecture, il est partie
intégrante de la culture d'un peuple (et ce faisant partie prenante de son
identité). Surtout, art de l'expérimentation, il tient très soigneusement
compte de _lisibilité.

En ce sens, il est naturel que le typographe soit foncièrement conservateur.

Ça n'empêche pas les ruptures, parfois violentes : il s'agit alors de
ruptures esthétiques, d'innovations au sens plein du terme. Elles peuvent
être fondamentales, et enrichir définitivement notre pratique (qui peut
aujourd'hui  s'abstraire de ce qu'ont apporté les courants typographiques
des années vingt, par exemple ?), ou bien rester anecdotiques (on oubliera
vite le mouvement _grunge_ et les polices _trashy_, qui ont à peine dix ans
et paraissent déjà vieilles).

Hormis ces _coups d'État_, qui se justifient par eux-mêmes, il y a les
micro-innovations et les micro_dérogations au droit canon (j'emploie ce
terme à dessein). Elles ne peuvent avoir qu'une seule justification : se
mettre mieux au service du texte, au service du sens du texte, au service
de l'équilibre de la page, au service du lecteur : le typographe est
humble, il sait qu'il est d'abord là pour servir.

Un simple exemple : cette idée de mettre les sigles en petites capitales,
sans grande capitale au début. Pas dans la tradition française, certes.
Mais je viens d'en faire l'essai pour un livre qui comporte une tripotée de
sigles : ça marche très bien, ça évite les ruptures de lecture. Ça aide à
la lecture : adopté !

Mais si se mettre au service du texte et de son lecteur est la seule
motivation qui vaille, je te le demande : qui cela va-t-il aider d'avoir
des quotes en guise d'apostrophes ?

---------
Plus marginalement :

>l faut bien reconnaître que les quotes sont bien plus pratiques
>à taper (une seule touche) que les guillemets français, même si on leur
>attribuait des touches directes. Il en faudrait toujours deux, avec les
>possibilités de fautes de frappes.
>
Pourquoi deux ? Moi, j'accède aux guillemets français avec une seule touche
par guillemet (j'ai bricolé la ressource clavier). Rien n'est plus facile :
c'est _un_ caractère, donc _une_ touche. On n'a pas besoin de combinaisons
de touches pour accéder aux é è à ç ! D'autre part, je n'ai jamais entendu
ce genre d'argument employé contre les touches mortes, qui nous permettent
d'avoir ê î, ï, et j'en passe.


Alain Hurtig         alain.hurtig@xxxxxx
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« Je ne vois rien, je vois tout: la certitude est puisée dans la ténèbre. »
Angèle de Foligno