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Message : Re: [typo] Des points à la place des balles ?

(Thierry Bouche) - Vendredi 06 Juin 2003
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Subject:    Re: [typo] Des points à la place des balles ?
Date:    Fri, 6 Jun 2003 13:35:12 +0200
From:    Thierry Bouche <thierry.bouche@xxxxxxxxxxxxxxx>

Le vendredi 6 juin 2003 à 10:16:39, Serge B écrivit :


SB> Pendant mes études de maths, j'ai vu partout des i.e., dont l'usage était
SB> aussi courant que cqfd (ou c.q.f.d.) ;

oui, les matheux sont gavés d'anglo-saxismes (je vais pas chercher à
distinguer la manche et l'atlantique... mais je suppute, vue
l'ancienneté de l'emprunt, qu'il s'agit plutôt de la Manche) de ce
genre. Exemple canonique : « trivial au sens mathématique », qui
n'est pas autre chose que le sens anglais (banal).

i.e., viz. (plus rare), numéroter en chiffres romains bdc, tout cela
c'est des emprunts à une tradition scholastique anglo-saxonne.

Ce qui m'amuse, c'est que, précisément, C.Q.F.D.  commence à perdre du
terrain par rapport à Q.E.D., mais c'est beaucoup plus récent, et
demandez-vous sous l'influence de quelle civilisation puissante &
dominante quoique barbare ? (notez tout de même que ça aussi, c'est du
latin !) dans le même genre, « preuve » vs. « démonstration », etc.


SB> D'une manière générale, en maths, il me semble que le latin a toute sa
SB> place. Si les théorèmes sont rédigés en langue vulgaire, les calculs
SB> emploient bcp d'abréviations : l'usage du latin plutôt que d'abréviations
SB> liées à une langue particulière facilite grandement la lecture d'un texte
SB> étranger.

ce point de vue est ... généreux, mais il ne décrit absolument pas la
réalité. Ce qui assure le succès de ces emprunts c'est uniquement un
goût commun pour la pédanterie (les étudiants écrivent et prononcent
« hi-euh ; cé-effe », ça n'est plus une abréviation (Mr se lit
« monsieur » et pas « emme-erre ») puisque le sens initial s'est perdu.
La plupart seraient incapables de citer la locution latine abrégée).
Prononcer « triviaâl » sur un ton pointu semble ouvrir les clés de
l'appartenance au _happy-few_.

************

Sur le fond, il ne s'agit pas véritablement d'un processus de
colonisation, puisque ce sont les « colonisés » qui prennent la part la
plus active : ce sont eux qui se sentent plus malins que leur voisin de
manipuler des constructions étrangères dont ils ne mesurent pas
l'inutilité. C'est un mélange d'inculture (ignorer les usages
académiques francophones, simplement parce qu'on les rencontre en thèse,
où on se contente de fréquenter des écrits actuels majoritairement en
anglais, ou en français décalqué) et de désir candide de se fondre dans
le moule des puissants. L'anglais international ou technique, le jargon
académique ne sont pas des langues à part entière, ce sont des clichés
et des expressions toutes faites mises bout-à-bout ; les inc'oyables et
les précieuses ridicules de notre temps.


 Thierry Bouche