Archive Liste Typographie
Message : Re: [typo] «Féminisation», Québec

(Jean-François Roberts) - Lundi 08 Novembre 2004
Navigation par date [ Précédent    Index    Suivant ]
Navigation par sujet [ Précédent    Index    Suivant ]

Subject:    Re: [typo] «Féminisation», Québec
Date:    Mon, 08 Nov 2004 02:23:10 +0100
From:    Jean-François Roberts <jean-francois.roberts@xxxxxxxxxx>

Title: Re: [typo] «Féminisation», Québec
Je m'en voudrais d'en rajouter à la savoureuse démonstration de P. Andries.

Simplement, on notera que la féminisation est un phénomène (et un problème !) qui apparaît surtout pour les langues romanes, français notamment. On le sait, en anglais, les adjectifs  n'ont pas de genre. Quant aux substantifs, un grand nombre sont neutres. En tout état de cause, les noms d'agent (par exemple) n'ont pas de terminaison spécifique à tel ou tel genre (masculin-féminin). On n'a donc pas à se creuser la tête pour trouver un féminin à "médecin" ou "docteur" ("doctor"), ni à "écrivain" ("writer") ou "auteur" ("author"), ou encore à "rapporteur" ("rapporteur" en anglais dans le texte).

La problématique de la terminologie "non exclusive" (pour reprendre le jargon consacré) se résume alors - en anglais - essentiellement à user de formes telles que "he/she" (ou autre "he or she") ou à passer au pluriel ("they" étant unisexe...). La création de termes nouveaux n'apparaît guère que pour certains termes où "man" apparaît comme nom d'agent : ainsi, "fireman" (sapeur-pompier), qui a donc cédé la place à "firefighter" ("combattant du feu")... Ou encore "manhole" ("regard [d'égout, etc.]"), remplacé par "access hole", etc. On ne parlera pas de certains excès provocateurs et /ou plaisants (ainsi, "history" récusé au profit de "herstory" ;).

On notera par ailleurs que "'Mme la ministre" est la marche retenue pour les Journaux officiels, en France (mais certains sénateurs tiennent à préserver la forme "Mme le ministre"...).

Quant à savoir si la féminisation terminologique relève spécifiquement du féminisme, et si ce dernier serait à mettre au compte d'une fumeuse anglosaxonnerie... Disons que ça correspond à l'évolution sociale et économique, liée donc  au développement technique, qui n'est a priori pas plus étatsunien ou britannique que français, allemand, japonais ou russe. C'est d'ailleurs au nom de la libération des femmes (entre autres) qu'on a pu justifier, jadis (en France autant qu'ailleurs), la mission civilisatrice de l'Occident, appelé à coloniser l'actuel Tiers Monde. Mais ceci est une autre histoire.

On peut s'accorder, cela dit, à refuser des formes typo "à jeter", telles que le mixte "b.d.c.-cap. (ou petites cap.)" ou le point médian, dont on n'a que faire en dehors des maths (ou du catalan). La solution "la moins pire", en français, reste encore celle des parenthèses, avec toutes les incongruités que ça entraîne : "le (la) rapporteur(e)", infirmier(ère)", etc.

De : Patrick Andries <hapax@xxxxxxxxxxx>
Répondre à : typographie@xxxxxxxxxxxxxxx
Date : Sun, 07 Nov 2004 15:25:58 -0800
À : typographie@xxxxxxxxxxxxxxx
Cc : correcteurs@xxxxxx, typographie@xxxxxxxx, Jef Tombeur <jtombeur@xxxxxxx>, langue-fr@xxxxxxxxxxxxxxx
Objet : [typo] «Féminisation», Québec


Jacques Melot a écrit :
Re: [CORRECTEURS] « Féminisation », Québec
Le 05-11-2004, à 21:49 +0100, nous recevions de Jef Tombeur :

   Mais comment diable peut-on aller se compliquer à plaisir la vie ainsi ?! N'a t'on déjà pas assez à faire avec les tremblements de terre au Japon, la malaria en Afrique, la réélection de Bush !
La majorité des Américains seront contents d'apprendre qu'un Français exilé en Islande compare leur choix à une élection à la malaria ou à des tremblements de terre.



   Dis-toi bien qu'un linguiste authentique ne peut se laisser entraîner à soutenir de telles balivernes.
Sur la féminisation, je suis assez d'accord.

Laisse donc ces Lyssenko de la linguistique s'égosiller dans le vide ! C'est là d'ailleurs bien plutôt la question : ne font-ils pas des adeptes ? C'est ce qui m'a amené un jour, ici et là, a déclarer que je ne donnais pas cher, hélas, de l'avenir du Canada francophone : nulle part les universitaires francophones ne montrent les signes d'une colonisation des esprits plus évidente et aussi complète qu'au Canada.
Colonisation par qui exactement, l'Amérique conservatrice-malaria ? Ça me semble contradictoire, non ? Conservateur et politiquement correct ?

Ils s'accrochent en apparence à leur langue, qui plus est même à sa correction, l'expurgeant de ses anglicisme, alors qu'ils ne se rendent pas compte un seul instant qu'elle s'effondre de l'intérieur sous l'action de ce cheval de Troie qu'est la pensée « politically correct » et la féminisation forcée du langage, un de ses principaux avatars, engeance pénétrant par osmose du monde anglo-saxon qui les environne de toute part et dont ils ne savent pas se démarquer.
Il y a beaucoup d'exagération dans cette véhémente dénonciation.

1) Vous exagérez le nombre d'adeptes de la féminisation graphique (du type étudiantEs)  au Québec, ces formes sont très largement minoritaires.

2) Tous ceux qui veulent protéger le français et l'expurger d'anglicismes inutiles (*) (avant que d'autres anglicismes plus tardifs ne deviennent à la mode à Paris) ne sont pas pour la féminisation des titres (bref vouloir bien parler français n'implique aucunement féminisme).

2) Tous ceux qui sont pour une certaine féminisation des titres (pourquoi pas Madame lA ministre?) ne sont pas nécessairement pour certaines lourdeurs syntactiques et horreurs graphiques dénoncées ici.

3) Le correctivisme politique peut par certaines de ses valeurs, plus particulièrement la défense de la diversité culturelle, servir à protéger le français en Amérique; maintenant il ne faut pas nécessairement être un zélote de cette rectitude politique pour vouloir défendre cette même diversité culturelle, il s'agit simplement d'une idée qui peut être partagée par plusieurs tendances idéologiques, comme la justice ou la générosité.

4) Ce qui menace le plus sûrement le français en Amérique c'est le peu d'enfants de francophones qui naissent et la faible francisation des immigrants.  Car pour qu'une langue survive il lui faut des locuteurs, c'est aussi simple que cela. En deçà d'une certaine masse critique et d'une majorité locale, les langues qui ne se muent pas en symbole religieux, meurent. Au niveau du déficit démographique, le Québec est d'ailleurs beaucoup plus proche de l'Europe (1,4 enfant par femme au Québec, par couple donc, cela en comptant les enfants d'immigrants plus féconds) que les États-Unis d'Amérique à l'excellente santé démographique (2,0 enfants + immigration). Maintenant, il est vrai que le Québec, l'Amérique urbaine anticoléra et l'Europe (la France étant dans une position un peu moins mauvaise) partagent une démographie très faible et là je suis d'accord avec vous qu'il se pourrait bien que cette faiblesse démographique s'explique par la rectitude politique et une vision du féminisme et de ce que la famille devrait être .



   Non un francophone n'est pas un Anglo-Saxon parlant français !
C'est quoi un Anglo-Saxon ? Si ce n'est pas une entité linguistique ou ethnique, est-ce quelqu'un qui vote pour la malaria et les tremblements de terre ? Vous voyez beaucoup en commun entre un évangéliste du Kansas et un homosexuel activiste de San Francisco sauf la langue ?  Mais quel rapport avec la féminisation des titres ?


P. A.

(*) Windscreen, bumper,  tires n'ont jamais été des anglicismes populaires à Paris contrairement à Montréal.  Intéressant de remarquer le parallélisme entre dépossession des moyens industriels et manque d'influence politique et importation d'anglicismes.