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Message : Re: [typo] «Féminisation», Québec

(Jacques Melot) - Lundi 08 Novembre 2004
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Subject:    Re: [typo] «Féminisation», Québec
Date:    Mon, 8 Nov 2004 14:46:07 +0000
From:    Jacques Melot <jacques.melot@xxxxxxxxx>

Title: Re: [typo] «Féminisation», Québec
 Le 07-11-2004, à 15:25 -0800, nous recevions de Patrick Andries :

Jacques Melot a écrit :
Re: [CORRECTEURS] « Féminisation », Québec
 Le 05-11-2004, à 21:49 +0100, nous recevions de Jef Tombeur :

    Mais comment diable peut-on aller se compliquer à plaisir la vie ainsi ?! N'a t'on déjà pas assez à faire avec les tremblements de terre au Japon, la malaria en Afrique, la réélection de Bush !

La majorité des Américains seront contents d'apprendre qu'un Français exilé en Islande compare leur choix à une élection à la malaria ou à des tremblements de terre.



   Réponse étonnante de votre part, mais soit.



   Dis-toi bien qu'un linguiste authentique ne peut se laisser entraîner à soutenir de telles balivernes.
Sur la féminisation, je suis assez d'accord.
Laisse donc ces Lyssenko de la linguistique s'égosiller dans le vide ! C'est là d'ailleurs bien plutôt la question : ne font-ils pas des adeptes ? C'est ce qui m'a amené un jour, ici et là, a déclarer que je ne donnais pas cher, hélas, de l'avenir du Canada francophone : nulle part les universitaires francophones ne montrent les signes d'une colonisation des esprits plus évidente et aussi complète qu'au Canada.

Colonisation par qui exactement, l'Amérique conservatrice-malaria ? Ça me semble contradictoire, non ? Conservateur et politiquement correct ?



   Pourquoi aller chercher cette explication ? Je parle d'un noyau universitaire américain très influent dont je n'ai pas dit qu'il était ni réactionnaire ni progressiste.



Ils s'accrochent en apparence à leur langue, qui plus est même à sa correction, l'expurgeant de ses anglicisme, alors qu'ils ne se rendent pas compte un seul instant qu'elle s'effondre de l'intérieur sous l'action de ce cheval de Troie qu'est la pensée « politically correct » et la féminisation forcée du langage, un de ses principaux avatars, engeance pénétrant par osmose du monde anglo-saxon qui les environne de toute part et dont ils ne savent pas se démarquer.

Il y a beaucoup d'exagération dans cette véhémente dénonciation.

1) Vous exagérez le nombre d'adeptes de la féminisation graphique (du type étudiantEs)  au Québec, ces formes sont très largement minoritaires.



   Je n'ai donné aucun nombre ni pourcentage. Ce que j'écris sous-entend cependant qu'il ne s'agit pas de cas isolés, mais, comme je l'ai écrit ci-dessus, de milieux minoritaires très influents au point d'imprimer leur marque sur le langage de l'administration, des politiciens, des recruteurs, etc. Comme Français, je m'inquiète de cette contamination qui se fait déjà sentir en France (pas chez l'ouvrier de chez Renault, non) et qui nous vient du Canada francophone par imitation (ne serait-ce que pour ça, je n'ai pas pleuré Jossepin à son éviction du pouvoir, qui a une grosse part de responsabilité dans l'affaire).



2) Tous ceux qui veulent protéger le français et l'expurger d'anglicismes inutiles (*) (avant que d'autres anglicismes plus tardifs ne deviennent à la mode à Paris) ne sont pas pour la féminisation des titres (bref vouloir bien parler français n'implique aucunement féminisme).



   La preuve : mon attitude de « toujours » en face des anglicisme. Je ne parlais donc pas de ça, mais de ce groupe qui joint le purisme à l'harcèlement.



2) Tous ceux qui sont pour une certaine féminisation des titres (pourquoi pas Madame lA ministre?) ne sont pas nécessairement pour certaines lourdeurs syntactiques et horreurs graphiques dénoncées ici.



  Il y a sans doute tous les cas intermédiaires, mais dès le moment ou le portail de la féminisation est entrouvert...



3) Le correctivisme politique peut par certaines de ses valeurs, plus particulièrement la défense de la diversité culturelle, servir à protéger le français en Amérique; maintenant il ne faut pas nécessairement être un zélote de cette rectitude politique pour vouloir défendre cette même diversité culturelle, il s'agit simplement d'une idée qui peut être partagée par plusieurs tendances idéologiques, comme la justice ou la générosité.

4) Ce qui menace le plus sûrement le français en Amérique c'est le peu d'enfants de francophones qui naissent et la faible francisation des immigrants.  Car pour qu'une langue survive il lui faut des locuteurs, c'est aussi simple que cela. En deçà d'une certaine masse critique et d'une majorité locale, les langues qui ne se muent pas en symbole religieux, meurent. Au niveau du déficit démographique, le Québec est d'ailleurs beaucoup plus proche de l'Europe (1,4 enfant par femme au Québec, par couple donc, cela en comptant les enfants d'immigrants plus féconds) que les États-Unis d'Amérique à l'excellente santé démographique (2,0 enfants + immigration). Maintenant, il est vrai que le Québec, l'Amérique urbaine anticoléra et l'Europe (la France étant dans une position un peu moins mauvaise) partagent une démographie très faible et là je suis d'accord avec vous qu'il se pourrait bien que cette faiblesse démographique s'explique par la rectitude politique et une vision du féminisme et de ce que la famille devrait être .



   Serait-ce alors que je ne suis pas d'accord avec moi-même ou que je ne me sois pas compris, moi-même également ? Je dois même avouer que je n'ai jamais envisagé les choses de cette manière.



   Non un francophone n'est pas un Anglo-Saxon parlant français !
C'est quoi un Anglo-Saxon ? Si ce n'est pas une entité linguistique ou ethnique, est-ce quelqu'un qui vote pour la malaria et les tremblements de terre ? Vous voyez beaucoup en commun entre un évangéliste du Kansas et un homosexuel activiste de San Francisco sauf la langue ?



   Eh bien disons, de manière j'espère plus parlante : un Anglais n'est pas un Texan (ou inversement), pour la seule raison qu'il parle anglais. Il y a la question essentielle de l'identité ! Et c'est bien de son aliénation par contamination osmotique dont il est question dans mon intervention. Si l'identité s'en va en capilotade, la langue n'a plus guère d'intérêt. Ce n'est plus qu'une enveloppe vide qui, tôt ou tard, finira pas s'affaisser sur elle-même. Lorsqu'on a adopté - inconsciemment - tous les critères d'une autre culture, on devient insatisfait de sa langue, à laquelle on en vient à reprocher ses déficiences lexicales, son manque de précision, son incapacité à montrer le sexe, etc. Comme, dans un premier temps on ne peut accepter, ni même envisager l'idée d'en changer - ce serait trop gros et, dans l'immédiat, trop insupportable - on change plutôt ses structures pour lui permettre de véhiculer la pensée étrangère qui nous habite désormais : on prend des dispositions qui reviennent à transformer sa langue en un « dialecte sémantique », voire même syntaxique de l'autre, c'est-à-dire de la vider de son contenu culturel, identitaire.

  Jacques Melot


Mais quel rapport avec la féminisation des titres ?


P. A.

(*) Windscreen, bumper,  tires n'ont jamais été des anglicismes populaires à Paris contrairement à Montréal.  Intéressant de remarquer le parallélisme entre dépossession des moyens industriels et manque d'influence politique et importation d'anglicismes.