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Message : Re: Mmes, Mlles et MM.

(Jacques Melot) - Samedi 13 Mars 1999
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Subject:    Re: Mmes, Mlles et MM.
Date:    Sat, 13 Mar 1999 12:30:31 GMT
From:    Jacques Melot <melot@xxxxxx>

 Le 13/03/99, à 7:47 -0000, nous recevions de Jean Fontaine :

>JiPé expliqua :
>
>>La première forme (P.-S. Blabla) est correcte, mais... je préfère la
>>quatrième (c'est-à-dire la troisième de Jean Fontaine)...
>>        P.-S. -- Blabla.
>>Pas pour la raison évoquée plus haut (ici, il faut bien le dire, les risques
>>sont nuls...), mais parce que les autres ont des inconvénients... Exemples :
>>        P.-S. G. Duhamel ne dit pas le contraire.
>
>  Ce dernier exemple me fait penser à l'ambiguïté de « M. Dupont », qui
>peut signifier, selon les contextes, « Monsieur Dupont » ou « Michel
>(Marie, etc.) Dupont ».
>  C'est un des arguments de Méron en faveur de l'abréviation Mr pour
>monsieur. L'autre principal argument, dans son étude critique sur le sujet,
>est celui de l'alignement sur le mode d'abréviation de la série des titres
>de civilité : Mme, Mlle, Me, Dr, Mgr, etc. (idéalement avec mise en
>supérieures des lettres autres que l'initiale), abréviations auxquelles on
>ajoute un s au pluriel.
>  Il déplore que les codes typo, qui prescrivent tous l'abréviation M. (MM.
>au pluriel), condamnent presque aussi unanimement l'abréviation Mr, souvent
>taxée d'anglicisme.




   Nous avons déjà débattu de cette question dans le forum FRANCE-LANGUE et
j'y ai participé par une longue contribution. Vous ne trouverez
malheureusement pas cela dans les archives du forum cité, aussi, ai-je
repostée mon intervention (séparément) dans TYPOGRAPHIE en même temps que
la présente.


   Quelques remarques en vrac (dont certaines ne sont que des reprises).

   Au moins dans les cas où il peut y avoir ambiguïté, on peut, je pense,
ajouter l'initiale d'un ou de plusieurs prénoms. M. J. Melot lorsqu'il
existe, dans le même contexte, un K. Melot. Cela ne résout pas la
difficulté que vous signalez, je le sais bien, et comme tout un chacun, moi
aussi je peste régulièrement contre les inconvénients de cette notation.

   L'abréviation Mr, comme vous le rappelez, a (dans une bonne mesure) la
logique pour elle (ainsi que des avantages pratiques incontestables), M.
ayant elle l'usage. Il faut cependant se méfier de la logique comme de la
peste, car en son nom sacro-saint, beaucoup sont menés à accepter ou à
faire accepter des bêtises. D'un autre côté, l'usage ne peut pas être, non
plus, un frein intangible au progrès. Après tout, on s'accorde bien très
généralement pour accentuer les capitales, ce qui constitue un progrès
indéniable, notamment dans les publications didactiques et savantes, alors
qu'il existe un usage massif et persistant pour ne le faire que
partiellement (excluant, par exemple, l'usage de l'accent grave sur la
capitale A).
   De manière générale, il faut se garder de se précipiter sur ce qui
semble être une innovation avantageuse et se montrer bien prudent en
examinant de nombreux cas et en laissant l'affaire mûrir. L'usage
s'appuyant nécessairement sur une longue période, nous avons le temps ! Il
est important de procéder ainsi, car on ne voit en général que les
avantages flagrants, ceux-ci pouvant être l'arbre qui cache la forêt. Des
modification hâtives peuvent avoir des conséquences cachées qui ressortent,
comme des résurgences, aux endroits les plus inattendus, plus tard, et l'on
s'aperçoit alors que la réforme était une erreur, car elle a des
conséquences négatives en chaîne, complètement imprévues et souvent
impossibles à maîtriser.
   Il en va ainsi des modifications sexistes introduites par les
Anglo-Saxons qui ont malheureusement contaminé une partie des francophones,
telle celle consistant à remplacer « lui » par « elle ou lui », « il » par
« elle ou il », etc., qui in abstracto peut sembler au premier abord
équitable ou faisable, mais dont on s'aperçoit qu'elle débouche sur des
horreurs comme : « Y a-t-il parmi vous quelqu'un ou quelqu'une qui [...] »,
« L'auteur [...]. Elle ou lui [...] », « la question en fera rugir plus
d'un et plus d'une », qui, logiquement, mais de manière qui n'apparaît
qu'avec le temps, mêne à des aberration totales sur le modèle de : « une
cantatrice norvégienne de mes amis ou amies [...] », « Toi, arrogante !
Mais tu ne l'est pas plus qu'une autre ou un autre ! », « Les unes, les uns
et les autres », j'en passe et des plus atterantes encore. Sans compter
que, dans cet exercice qui s'apparente à l'établissements d'équations
mathématiques rigoureuses et qui, en cela rappelle plutôt la comptabilité,
les moins doués, c'est-à-dire presque tous ceux qui s'y laissent prendre,
sont vite dépassés par la complexité des exercices, comme le montre
l'exemple réel suivant : « quelqu'un(e) sait-il/sait-elle m'expliquer ce
qui l'a persuadé d'admettre la forme [...] ». À moins que, sur le moment,
mon sens de l'orthographe défaille, il faudrait, par cohérence, faire
apparaître l'alternative sexiste aussi sur « persuadé » par l'ajout de «
/persuadée ». Certains d'entre vous ont aussi reçu de moi, il y a quelques
temps déjà, une réponse au vitriol à un texte de ce genre en provenance
d'un universitaire qui, se laissant prendre à la complexité de cette
arithmétique sexuelle, en fait sadique-anale, ne s'est même pas aperçu
qu'il traitait la condition de femme en la rabaissant au statut d'infirme,
contrairement à ses intentions avouées (quand à ses intentions non
avouables... chassez le naturel, il revient au galop !). Voir « Le langage,
ses affres, ses trahisons... » à :

http://listes.cru.fr/arc/mycologia-europaea@xxxxxx/1999-03/msg00058.html).




   L'abréviation Mr, à mon avis, n'est pas un anglicisme pur, mais une
variante largement promue par l'omniprésence de l'anglais qui, en quelque
sorte, opère comme un amplificateur ou, mieux, comme un catalyseur. En
effet, la fréquence de Mr augmente manifestement avec celle de la présence
de l'anglais. Pour calculer cette fréquence, examinez, si vous conservez
les enveloppes du courrier que vous recevez, l'évolution relative de
l'usage de M. et de Mr, et vous serez édifiés.
   Inutile de dire que l'immense majorité de ceux qui emploient Mr plutôt
que M. ne le font pas suite à une étude de fréquence basée sur l'usage ou
après mûres réflexions, mais instinctivement, sous l'action inconsciente de
l'« environnement », donc de qu'ils ont eux-même vu, en particulier
récemment ou chez des personnes qui ont un ascendant sur eux. Personne n'y
échappe, pas même gros jean par devant.

   On rencontre d'ailleurs aussi Mr., ce qui, cette fois est purement
indéfendable (allongement inutile et simultanément contraire à une des
règles les moins discutées, concernation l'usage du point d'abréviation).
Cette dernière est encore plus proche de l'anglicisme ou peut même
carrément être taxée de tel, car elle reproduit exactement la pratique
actuelle des pays anglophones (où, normalement ou plus traditionnellement
s'applique aussi la même règle concernant les abréviations, encore que...
il y aurait à dire, là aussi).

   Que sont les pluriels des abréviations de la série « logique » que vous
avez rappelée, sinon :

Mmes, Mlles, Mes, Drs, Mgrs et... Mrs

   Satisfaisant ?




(Méron étudie aussi la série équivalente en anglais, où
>l'usage du point abréviatif semble finalement assez flottant.)



   Ah ! Je le sentais bien. Mes précautions oratoires ci-dessus n'étaient
pas vaines !



>  Il est en mon pouvoir (oh combien tentaculaire...) de revoir la façon
>qu'un logiciel correcteur de français doit se comporter quand il rencontre
>dans un texte cette abréviation (Mr). Devrait-elle être :
>- déconseillée (et remplacée par M.)?
>- tolérée?
>- encouragée?
>- imposée?



   Certainement pas imposée : ce serait sûrement ressenti par certains
comme infiniment présomptueux, comme un moyen déloyal, à la Bill Gates,
d'imposer votre point de vue. Je choisirai donc, pour ma part, une des
trois premières solutions, avec une « alerte » brève et claire indiquant
que l'usage correct, en France, est M. Il n'y a pas de langue, en tout cas
pas de langue française, sans usage.


   Amicalement,

  Jacques Melot, Reykjavík



>  Qu'en pensez-vous, MM. (Mrs?) Lacroux, Rondinet et autres éminents
>correctologues aux lèvres desquels nous vivons tous suspendus? Quand vous
>voyez « Mr Dupont » sur une copie, corrigez-vous toujours instantanément
>avec « M. Dupont »?
>  Évidemment, l'idéal serait de ne jamais abréger ces titres de civilité
>(en particulier dans une formule comme celle que j'ai utilisée comme
>titre), mais ce n'est pas toujours possible dans la pratique.
>  Sur ce, bonne nuit m'sieurs dames!
>
>Jean Fontaine
>jfontain@xxxxxxxxxxx