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Message : Re: [typo] contribution et codage (Jean-François Roberts) - Mardi 11 Mai 2004 |
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Subject: | Re: [typo] contribution et codage |
Date: | Tue, 11 May 2004 01:38:43 +0200 |
From: | Jean-François Roberts <jean-francois.roberts@xxxxxxxxxx> |
Oui très juste... et vous avez raison de me reprendre sur l'ortographe de "Linotype", et la nature de la Monotype... Quant aux imprimeurs chinois, ils avaient réglé le problème de l'industrialisation du type : types métalliques fondus, en bronze ou plomb... Ce qui leur a manqué, c'est l'intuition géniale de Gutenberg, permettant l'industrialisation de la *production* imprimée : c'est-à-dire le moyen de stabiliser les caractères mobiles dans la forme. La question du nombre de caractères me semble une parfaite fausse piste : Wang Zhen avait déjà résolu la question à la fin du XIIIe siècle, l'ouvrier se tenant non pas *dans* la casse (se méfier des 2 ou 3 gravures qui sont reprises d'une publication à l'autre !) mais bien *entre* les deux éléments (tambours rotatifs) qui portaient ses 30 000 caractères (et l'un de ses collègues de la même époque en disposait de 100 000 !). La récupération de la forme gutenbergienne par les Chinois ne changea bien sûr rien au "problème" (ou plutôt : au faux problème) du nombre de caractères. Mais ils purent passer à l'imprimerie industrielle, maintenant qu'il ne fallait plus recaler les caractères tous les 20 exemplaires... En quoi le nombre de caractères chinois serait-il un faux problème ? Tout simplement parce que, pour un illettré européen, connaître les quelques centaines de caractères dont disposent les imprimeurs autochtones paraît faramineux. Pas pour un typo, ou tout autre habitué de ces techniques. De même, tout Chinois sachant lire connaît (au minimum) dans les 30 000 idéogrammes. Les classer (et les retrouver, une fois classés) n'est pas plus compliqué pour lui que de réciter l'alphabet pour un Européen. On oublie trop vite que les langues du sous-continent indien (et toutes les écritures du Sud-Est asiatique) connaissent exactement le même problème. En devanagari (servant entre autres pour le sanscrit et le hindi), par exemple (et pour fixer les idées) il faut *plusieurs dizaines de milliers* de glyphes - qui ne s'obtiennent pas par addition d'éléments préfabriqués. Pourquoi ? Tout simplement parce que c'est une écriture syllabique. A part les 16 caractères servant à indiquer les voyelles isolées (autochtones et étrangères, anglaises notamment, ainsi que des "consonnes-voyelles" archaïques [sanscrit]), on sait qu'il y a 33 "consonnes". Oui, mais... Chacune de ces consonnes indique en fait une *syllabe* débutant par ladite consonne, et s'agrémente de diacritiques divers et *multiples* indiquant sa vocalisation (ou non), la présence (ou non) d'un "r" avant ou après la syllabe, etc. On arrive très vite à plus de 60 000 glyphes "de base" pour le devanagari. On peut imaginer des systèmes de glyphes "combinants" pour les diacritiques, mais, en bonne typo, il en faut plusieurs variantes, puisque (par exemple) le diacritique se greffant (au-dessus ou au-dessous) sur l'axe vertical du caractère consonantique devra tenir compte de la position de l'axe (médiane, avant, arrière). Et ce n'est là que l'un des cas de figure. Mais ça ne s'arrête évidemment pas là : ça serait trop simple. En effet, un groupe consonantique (2 ou 3 consonnes) ne peut pas se marquer, comme en alphabet latin, par un groupe de 2 ou 3 caractères de "consonnes" - puisque ce sont en fait des syllables ! (Si on voulait grouper le "k" et le "sh", on obtiendrait non pas la syllabe "ksha", mais bien les *deux* syllabes "kasha".) Le japonais n'a pas ce problème (même si son écriture "kana" semble dérivée, en dernier ressort, des syllabaires indiens) : c'est que, contrairement aux langues indiennes, le japonais ne connaît pas les groupes *phonétiques* de consonnes (d'où les graphies étranges des termes japonais empruntés aux langues européennes, par exemple : on sait que "tempura" dérive de "temple".) D'où la nécessité d'utiliser des caractères consonantiques composés, pour faire face à toutes les combinaisons existantes : il y en a plus de deux cents (en plus des 33 consonnes "de base"), chacun s'agrémentant à son tour, bien sûr, de tous les diacritiques (et combinaisons de diacritiques) possibles. On peut générer semi-mécaniquement bon nombre de ces caractères composés, obtenus en ce cas par combinaison d'un caractère consonantique et d'un demi-caractère, greffé avant ou sous le caractère "principal". Mais une proportion importante de ces caractères composés exhibent en fait des formes "synthétiques", rappelant plus ou moins directement les éléments dont ils sont issus. Si l'on veut, c'est tous les problèmes de la typo du grec classique... puissance 5 (et avec un nombre de ligatures à faire pâlir les concepteurs des Grecs du roi !). Faut-il préciser que les imprimeurs indiens n'ont jamais éprouvé la moindre difficulté à gérer tout ça ? Même si ça permet de comprendre les difficultés des informaticiens du sous-continent à se mettre d'accord sur des standards de codage (car le devanagari n'est qu'une des *dix* écritures officielles de l'Union indienne ! Sans compter le cingalais). En bref : le coup de génie de Gutenberg, c'est d'avoir stabilisé ses types. Le reste n'est qu'amusement (intéressant, certes). Et pourquoi refuser à Wang Zhen et ses confrères (depuis le XIe siècle) l'appellation parfaitement exacte de "typographes" ? > De : "Christian Laucou-Soulignac" <lefourneau@xxxxxxxxxx> > Répondre à : typographie@xxxxxxxxxxxxxxx > Date : Mon, 10 May 2004 09:47:52 +0200 > À : <typographie@xxxxxxxxxxxxxxx> > Objet : Re: [typo] contribution et codage > > Réponse à J.-F. R., tardive à cause d'une panne. > Oh, je n'avais rien oublié, j'avais simplement voulu ne pas trop entrer dans > les détails. Je m'intéresse au sujet depuis 30 ans. C'est Jauneau qui, sans > le savoir, m'a passé le virus. Il fut mon prof de techno pour ses dernières > années d'enseignement à Estienne. > > Vous citez les impressions anaglyptiques (pour les aveugles), vous auriez pu > mentionner également (quasi homophonie oblige) les impressions anaglyphiques > (donnant une sensation de relief grâce à des lunettes) et bon nombre > d'autres, aux noms étranges que je vous passe, issues des recherches > photographiques du 19e, principalement celles qui tournent autour des > colloïdes bichromatés. > > Il n'existe pas à proprement parler d'impression musicale ou d'impression > mathématique. Ce ne sont que des systèmes de composition ou de fabrication > d'éléments imprimant dédiés à ces domaines particuliers et mis au service > d'un procédé d'impression (le procédé d'impression, c'est la technique qui > permet proprement de salir le support). > > Les machines Monotype et Linotype (avec un "i", vient de l'anglais "line of > types") ne sont pas des procédés mais, encore une fois, des systèmes de > composition. Et la Linotype seule correspond à votre idée de changement > d'"unité d'impression" du caractère pour la ligne. La Monotype, elle, si > elle compose du texte justifié automatiquement comme la Linotype, continue à > le faire en caractères séparés. Et l'idée de "bloc" incluse dans la > Linotype, sans remonter jusqu'à Gutenberg (que certains auteurs français des > siècles passés n'hésitent pas à nommer Gutemberg), se retrouve en amont dans > les polices polyamatypes et, si l'on élargit encore le propos, dans des > logotypes (Grec du roi et autres). > > Loin de moi l'idée d'avoir fait, avec les quelques mots que vous commentez, > un "précis historique". Ce serait risible. Cela ne pourrait même pas > concourir dans la catégorie "résumés des épisodes précédents". Cela étant > dit, pour la proto-imprimerie orientale le premier problème, je l'ai déjà > dit, c'est que les inventeurs n'avaient pas affaire à des langues > alphabétiques. Mais la typographie gutenbergienne a fini par revenir en > Chine et j'ai vu, en dépouillant une revue technique des années 1930, une > photo de casse chinoise (pour un quotidien si je me souviens bien). Le typo > n'est pas devant la casse mais dedans car la casse est une pièce dont les > murs sont couverts de cassetins jusqu'en haut. Escabeau pour atteindre les > cassetins du haut, on ne peut pas dire que ce soit pratique et rapide. Et je > passe sur la fabrication des poinçons (entre 2000 et 10000), des matrices, > et sur la fonte... > C'est cela, j'en suis intimement persuadé, qui a empêché les > prototypographes orientaux d'aller jusqu'au bout de leur invention. Et c'est > pour la raison inverse que les occidentaux sont allés jusqu'au bout : pour > nous c'était gérable. > > En ce qui concerne mon paragraphe sur le code typo, je suis resté dans le > vague, persuadé que j'étais (et j'ai eu raison) que vous alliez intervenir. > Votre bibliographie est bien plus complète que celle que j'aurais pu faire > avec ma bibliothèque même si elles se recoupent en partie. > > Christian Laucou. > > > De : Jean-François Roberts > To: typographie@xxxxxxxxxxxxxxx > Sent: Saturday, May 01, 2004 1:01 AM > Subject: Re: [typo] contribution et codage > > > Et n'oublions pas les procédés reproduisant une forme en relief d'origine : > flan de rotative, stéréotypie... (Et n'oublions pas un genre un peu méconnu > : les livres pour aveugles... Pour être complet, rappelons qu'il y aurait au > moins autant à dire sur l'impression musicale, partitions, etc. L'impression > mathématique mériterait également un développement particulier.) > > Les procédés Monotype et Lynotype sont plus qu'un simple procédé de > composition mécanique : si c'était le cas (que ça ne soit qu'un procédé de > composition), ça serait déjà un grand progrès. Mais, plus fondamentalement, > avec ces machines, l'unité d'impression n'est plus le caractère, mais la > ligne. On revient là à une invention... de Gutemberg (eh oui !) - mais lui > clichait directement 2 lignes consécutives... (Gain de stabilité, et surtout > en nombre de caractères physiques distinct à utiliser.) > > Il y aurait (vous en êtes persuadé, bien sûr) beaucoup à rajouter à votre > précis historique. Le grand succès de Gutemberg, bien sûr (à quoi tient le > succès industriel !) est surtout d'avoir trouvé le moyen de *stabiliser* ses > caractères *mobiles* dans la forme. Sinon, le grand problème de tous ses > prédécesseurs chinois, coréens, etc. était justement l'instabilité de la > composition, qui empêchait les grandes séries, en ralentissant de beaucoup > la fabrication. > >
- Re: [typo] contribution et codage, (continued)
- Re: [typo] contribution et codage, Christian Laucou-Soulignac (11/05/2004)
- Re: [typo] contribution et codage, Christian Laucou-Soulignac (11/05/2004)
- Re: [typo] contribution et codage, Pierre Schweitzer (11/05/2004)
Re: [typo] contribution et codage, Jean-François Roberts <=
- Re: [typo] contribution et codage, Christian Laucou-Soulignac (11/05/2004)
- Re: [typo] contribution et codage, Pierre Roesch (12/05/2004)
- Re: [typo] contribution et codage, Jean-François Roberts (12/05/2004)
Re: [typo] contribution et codage, Pierre Schweitzer (11/05/2004) Re: [typo] contribution et codage, Jean-François Roberts (12/05/2004) Re: [typo] contribution et codage, Pierre Schweitzer (12/05/2004) Re: [typo] contribution et codage, Jean-François Roberts (12/05/2004)